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promena comme un trophée. Le crime a été nié par Vinoy qui prétend que « le nommé Duval est tué pendant l’affaire »[1]. Mais la vérité a été dite par d’autres, par le général Le Flô, par le colonel Lambert dans leurs dépositions à la Commission d’enquête. On la retrouve aussi sous la plume d’un des émules de Vinoy qui, en passant, glorifie, croyant injurier : « Quant au nommé Duval, cet autre général de rencontre, écrit-il[2], il avait été, dès le matin, fusillé au Petit-Bicêtre avec deux officiers d’état-major de la Commune. Tous trois avaient subi en fanfarons le sort que la loi réserve à tout chef d’insurgés pris les armes à la main ».

Avec Duval tombait l’un des meilleurs soldats de la Révolution. S’il n’avait pas les aptitudes du général de métier, il possédait à un degré éminent celles du conducteur de foule qui mène à l’assaut des Tuileries et jette bas les trônes et les Bastilles. Peu d’hommes ont exercé pareil ascendant sur les masses. Il était maître absolu dans son XIIIe arrondissement. Robuste travailleur, comme l’exigeait sa profession de fondeur en fer, il attirait de prime abord les sympathies, la confiance de tous les prolétaires qui l’abordaient et qui se donnaient sans retour, conquis par son énergie à la fois réfléchie et farouche. Nul plus que ce jeune homme de 30 ans ne manqua à la Commune quand sonnèrent les heures tragiques de la bataille des rues, où ses qualités de coup d’œil et de froide audace en eussent fait un entraîneur d’élite, un chef écouté et obéi.

Avant Émile Duval, la veille, semblablement assassiné, était tombé un autre des militants de la Révolution que Paris aussi aima et qu’il pleura, Gustave Flourens. Celui-ci n’était pas un prolétaire : il était de souche et d’éducation bourgeoise, fils de savant, savant lui-même et professeur au Collège de France. Trop personnel parfois, trop impulsif aussi, il s’était trompé souvent et n’avait pas su toujours confondre son action propre avec l’action plus générale qui se menait à ses côtés, et visait à des résultats plus sûrs ; mais il était dévoué corps et âme à la cause ouvrière et socialiste, plein d’héroïque bravoure, appelant le danger et provoquant la mort. Lui qui aurait pu si aisément se tailler dans le monde des privilégiés, auquel il appartenait par la naissance et l’éducation, une place heureuse et enviée, il avait été, sous l’Empire, le plus irréconciliable des républicains, le plus impatient des révolutionnaires. Demeuré sous la République le révolté, tout de cœur avec les déshérités et les exploités, il périt, comme le dit l’auteur de la Guerre des Communeux de Paris que nous avons déjà cité, « en coupable défenseur des droits du peuple ». Voici dans quelles circonstances infamantes pour ses bourreaux :

Avec quelques-uns de ses Bellevillois et son fidèle aide-de-camp Amilcar Cipriani, Flourens, coupé des troupes de Bergeret dont il venait de faciliter la retraite, s’était dirigé vers Rueil. À l’entrée du village, il avisait une auberge

  1. Général Vinoy. — Armistice et Commune, p.374.
  2. La Guerre des Communeux de Paris, par un Officier supérieur de l’armée de Versailles, p. 133.