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La retraite est devenue possible. Les gardes nationaux, ceux de Flourens et ceux de Bergeret s’abritant tant bien que mal des feux du Mont-Valérien, se dirigent sur Nanterre, pour de là gagner Paris. Mais, à mi-route de Rueil et de Nanterre, les voilà rejoints par la cavalerie versaillaise ; leur colonne est disloquée, sabrée. Flourens, demeuré comme toujours au poste le plus dangereux, est coupé des siens, rejeté sur Chatou avec quelques compagnons seulement. Bergeret, cependant, avec le plus gros tronçon de ce qui fut son armée, a pu continuer sa marche, arriver à la Seine et repasser le pont de Neuilly dont en hâte on fortifie les abords pour opposer une barrière à l’ennemi qui approche.

Au Centre et au Sud, les colonnes fédérées n’avaient guère eu meilleur destin.

L’aile gauche (6.000 ou 7.000 hommes) commandée par Duval, avait passé la nuit sur le plateau de Châtillon. Au jour, contournant le plateau de Meudon, elle avait poussé, refoulant les avant-postes de la cavalerie du général du Barrail jusqu’à Villacoublay, à quatre kilomètres de Versailles. Mais à ce point elle avait été arrêtée par une violente fusillade dirigée des fenêtres des villas et des meurtrières percées dans les murs des parcs par les soldats de la brigade Derroja. Il eut fallu de l’artillerie pour déloger l’ennemi de la position dominante qu’il occupait ; Duval ne disposait pas d’un seul canon. Menacés par un régiment de fusiliers marins que soutenaient plusieurs pièces de campagne, assaillis bientôt par une division entière, la division Fellé, les bataillons fédérés durent battre en retraite, et se replièrent sur le plateau de Châtillon pour y passer la nuit.

La colonne du centre (10.000 hommes), sous les ordres de Eudes, de Ranvier et d’Avrial, essuyait un échec pareil. Après avoir emporté les Moulineaux et le Bas-Meudon, poussé jusqu’à Val-Fleury et à Bellevue, pourchassant les gendarmes et sergents de ville qui constituaient dans ces parages l’avant-garde de l’armée versaillaise, elle avait dû reculer devant l’entrée en ligne de la brigade La Mariouse, appuyée par une nombreuse artillerie. Sur ce point, heureusement, la ligne de retraite était meilleure et plus sûre. À l’abri des forts de Vanves et d’Issy que Ranvier munissait de gros canons de siège, requis au galop dans Paris, les fédérés purent arrêter l’offensive de l’ennemi.

En résumé, c’était la défaite complète, irréparable, de par la faute de généraux qui n’en étaient pas et n’avaient rien su prévoir, rien su combiner, qui pour tout ordre de bataille criaient d’aller en avant, s’imaginant que la témérité et la bonne humeur sont pour des chefs qualités qui suppléent à tout. C’était la défaite et la Commune obligée de passer de l’offensive à la défensive, défensive mortelle, car une Révolution est condamnée qui n’a pas le vaste espace libre devant elle. Elle ne peut languir sans s’éteindre, semblable à la flamme qui, pour se nourrir, doit monter toujours plus haute dans le ciel, aspirer l’oxygène