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Les officiers étaient rares ; le commandement absent. Peu d’artillerie : quelques canons à peine ; d’ambulances, point. Les précautions les plus élémentaires avaient été négligées. Nulle ration, même pas de pain ou de biscuit à distribuer aux combattants. Les généraux improvisés qui allaient assumer la conduite de cette foule, on ne peut pas dire de cette armée, ne possédaient aucune notion des choses de la guerre et ne soupçonnaient même pas les devoirs qui incombent à des chefs. Leur excuse est qu’ils ne croyaient pas à la bataille, à la résistance des troupes régulières, ou à une résistance si molle, qu’il ne valait pas la peine d’en parler. La Commission exécutive dont ils étaient membres ne venait-elle pas, sur la foi de la Place, d’afficher cette dépêche stupéfiante : « Bergeret lui-même est à Neuilly. Soldats de ligne arrivent tous et déclarent que, sauf les officiers supérieurs, personne ne veut se battre ». Les fédérés dont beaucoup n’avaient même pas de cartouches se préparaient, en conséquence, plutôt à une promenade militaire qu’à un combat. Le Mont Valérien, géant bonasse occupé par des alliés ou presque ne tirerait pas ; l’infanterie lèverait la crosse en l’air ; le restant, chouans et gendarmes, serait vite dispersé : les fédérés avaient tous foi dans ce conte bleu, que ce fou de Lullier avait narré d’abord et que personne depuis n’avait démenti.

Vers 3 heures du matin, le mouvement commença. À la tête de dix mille hommes, Bergeret franchit le pont de Neuilly et, par le Rond-Point des Bergères, s’engagea sur la route de Rueil. La colonne allait gaiement, sans souci, comme sans éclaireurs, quand le Mont-Valérien se mit à tonner soudain, jetant la panique et le désordre dans les rangs. Les sections de tête précipitèrent leur marche en avant pour échapper au feu de l’artillerie, pendant que les sections de queue reculaient en tumulte. La colonne était coupée. Bergeret, qui manquait de sens mais pas de bravoure, essaya de rallier les fuyards et, pour y arriver, fit braquer sur la redoutable forteresse trois misérables pièces qu’il avait amenées avec lui. La partie n’était pas égale ; en un clin d’œil, deux des pièces étaient démontées. Cependant, deux ou trois mille des gardes nationaux avaient pu se ressaisir et, abrités par les plis du terrain, contournaient le fort poursuivant leur marche sur Nanterre et Rueil. Ils parviennent même, un instant, à tenir en échec la cavalerie de Galliffet et l’obligent à tourner bride. Mais, vers les 10 heures, le gros de l’armée versaillaise qui, semble-t-il, ne s’attendait pas à une offensive si prompte et si nette entrait enfin en ligne. La brigade Daudel et la brigade Grenier débouchaient par les routes de la Celle-Saint-Cloud et de Garches, appuyées par la division de cavalerie du Preuil et les hussards de Galliffet revenus à la charge. Un combat de mousqueterie s’engageait. La garde nationale tenait bon pourtant, malgré son infériorité numérique, quand elle se vit menacée sur sa gauche par la brigade Grenier qui avait exécuté un large mouvement tournant et s’apprêtait à lui couper la retraite. À ce moment Flourens, avec 1.500 hommes, débouchait sur le champ de bataille. Impétueusement il se porte de l’avant et dégage Bergeret.