conditions limitatives que les Commissaires mirent à la sortie, conditions dont Lefrançais, dans ses Souvenirs[1], a peut-être trop marqué le caractère restrictif, mais qui, en bloc, étaient bien celles qu’il indique. De ces conditions, il résultait que les chefs militaires n’étaient autorisés à s’engager qu’après avoir fourni à la Commission un état par bataillon des forces placées sous leur commandement avec indication de leur armement, un état de l’artillerie disponible et du matériel de rechange, un inventaire des munitions de guerre avec indication des dépôts, bref, après avoir administré la preuve que la garde nationale se trouvait vraiment en mesure de tenir en rase campagne et de pousser jusqu’à Versailles sa pointe offensive. Quand la Commission exécutive se sépara elle n’avait donc, en réalité, ni ordonné ni défendu la sortie ; elle l’avait admise conditionnellement et pour l’instant suspendue.
En adhérant aux réserves formulées par la Commission, les chefs militaires furent certainement de bonne foi ; mais il arriva ce qui ne pouvait pas ne pas arriver. Revenus vers les bataillons dont les rangs s’enflaient sans cesse de nouveaux combattants, plongés derechef dans ce milieu ardent et exalté, ils furent reconquis à ce qui était leur propre opinion, plus que leur opinion, leur hantise depuis la journée victorieuse du 18 mars. Les obstacles un instant évoqués à leur esprit par des collègues plus prudents s’évanouirent et ils ne virent plus que le but : l’ennemi à rejoindre et à anéantir. Jeunes, impétueux, ivres d’un fol espoir, ils s’imaginèrent que les conditions que leur avaient posées la Commission étaient remplies et, sans lui rapporter les preuves que celle-ci avait réclamées, ils donnèrent l’ordre de marche, décidèrent de la sortie pour la pointe du jour.
De plan, les chefs militaires n’en avaient pas d’autre que celui très sommaire que nous avons déjà indiqué. La garde nationale se partagerait en trois corps. L’aile droite esquisserait une vigoureuse démonstration sur Rueil, Bougival et Chatou afin d’amener l’armée régulière à porter le gros de ses forces dans ces parages, tandis que le centre, par Issy, Meudon, Chaville et Viroflay, et l’aile gauche, par Bagneux, Villacoublay et Vélizy, fonceraient sur Versailles dégarnie.
Pour cette opération 40.000 hommes environ se trouvèrent finalement au rendez-vous. Beaucoup qui étaient venus dans l’après-midi et la soirée étaient repartis, las d’être promenés d’emplacement en emplacement et laissés sans vivres et sans feu sous une brume pénétrante, 20.000 hommes étaient massés dans l’avenue de Neuilly et les voies environnantes, sous les ordres de Bergeret et de Flourens ; le reste, sous les ordres de Duval et Eudes stationnait aux alentours des portes de Versailles et de Vanves. Aucune impulsion centrale, aucun ordre, aucune discipline : chacun se ralliait au fanion de sa convenance.
- ↑ Gustave Lefrançais : Étude sur le mouvement communaliste (p. 219-220), et Souvenirs d’un Révolutionnaire (p. 494).