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La sortie : le mot avait été instantanément dans toutes les bouches, le désir dans tous les cœurs. Ceux même qui, le matin encore, croyaient à l’entente et à la paix participaient maintenant à l’ivresse et à la fureur communes. Versailles provoquait, Versailles menaçait ; il fallait que Versailles fût châtié sur l’heure, la réaction terrassée et Paris victorieux. De la victoire, on ne doutait pas ; il n’y avait qu’à marcher. La sortie, chacun la voulait, l’appelait, s’y préparait : les ouvriers des faubourgs, impatients de venger leurs compagnons lâchement assassinés à Puteaux et à Courbevoie, comme ils venaient de l’apprendre, et de donner en même temps la chasse aux royalistes de l’Assemblée ; les boutiquiers, les commerçants qui avaient besoin d’air pour les affaires, et se sentaient irrémédiablement ruinés par ce second investissement qui, brutalement, s’annonçait ; les chefs militaires, braves mais inexpérimentés, qui ne se pardonnaient pas d’avoir, au 19 mars, marqué le pas, et estimaient possible encore cette offensive qui alors probablement eut été de tactique utile. La sortie torrentielle, dont il avait été tant parlé quelques mois auparavant contre le Prussien, apparaissait à nouveau comme le devoir et comme le salut à tout ce peuple qui ne voyait pas les obstacles, qui n’y croyait pas.

C’est dans cette atmosphère de fièvre et d’enthousiasme guerrier que la Commission exécutive s’assemblait vers 3 heures. Elle était composée, comme nous l’avons indiqué, de sept délégués, dont quatre purement civils : Lefrançais, Félix Pyat, Tridon et Vaillant, et trois pourvus en même temps de commandements militaires : Bergeret, Duval et Eudes. Ces trois derniers insistèrent véhémentement pour l’immédiate sortie, représentant que Paris tout entier aspirait avec eux, comme eux, à se ruer sur les provocateurs. Les membres civils de la Commission le savaient bien, puisqu’ils avaient reçu, quelques instants auparavant, jusqu’à une délégation du commerce en appelant aussi aux armes pour le débloquement de la capitale. L’intérêt primordial qu’il y avait à profiter de cette effervescence universelle, de cette humeur belliqueuse, gagnant jusqu’aux plus timorés, ne leur échappait pas ; mais aussi, ils distinguaient très nettement que la partie qui allait s’engager serait décisive et sans appel. Par conséquent, ils voulaient savoir les chances que Paris avait de gagner cette partie et mettre dans son jeu le plus d’atouts possible. C’est pourquoi, aux généraux qui ne parlaient que de marcher, à Duval qui s’exclamait : « Bah ! qu’importe ? On y laissera sa peau, voilà tout ! » ils répondaient, en demandant : « Êtes-vous prêts ? Les canons sont-ils en état ? Et les forts et le mont Valérien tireront-ils, et contre qui ? Avez-vous fait éclairer les routes, reconnu les positions de l’ennemi ? Savez-vous à quelle résistance vous allez vous heurter ? » Sur tous ces points, la Commission réclamait des précisions, des assurances, des certitudes. Écraser, disperser, avant qu’elle ne se fut solidement reconstituée, la force de réaction qui s’organisait à Versailles, lui paraissait certes plus nécessaire qu’à personne ; mais encore voulait-elle savoir si la chose était faisable, ne tournerait pas à la défaite irréparable. De là les