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excitant les hommes, prêtes, elles aussi, à marcher sur Versailles. Levée spontanée, attestant la foi magnifique de ce peuple dans la noblesse et l’excellence de sa cause, l’intensité de la passion révolutionnaire qui flambait en lui et exaltait ses énergies.

La Commission exécutive de la Commune siégeant en permanence, avait pris les premières mesures que la situation commandait : fermeture des portes, armement des remparts. Au cours de l’après-midi, elle faisait placarder une proclamation où elle dénonçait et stigmatisait l’agression : « Les conspirateurs royalistes ont attaqué. Malgré la modération de notre attitude ils ont attaqué. Ne pouvant plus compter sur l’armée française, ils ont attaqué avec les zouaves pontificaux et la police impériale ».

Ce document, conçu et affiché à une heure particulièrement critique, se distingue en ce point que, malgré le sentiment populaire qui si fortement poussait dans le sens opposé, il ne préconise, et encore moins ne commande la marche sur Versailles, l’offensive. « Défendez-vous », conseille la Commission exécutive, et elle n’en dit pas davantage. La constatation a sa valeur puisque de la sortie malheureuse du 3 avril découle toute la suite des événements qui, d’échec en échec, devaient conduire fatalement la Commune à l’écrasement final. La Commune, ici, n’a pas ordonné, elle n’a fait que subir ; elle a été emportée par un mouvement de foule qu’elle s’est trouvée impuissante à dominer ou à canaliser ; elle a vu l’écueil, mais elle n’a pu empêcher, contre l’équipage, le navire qu’elle était censé gouverner, d’y aller donner et de s’y briser.

Ceci est certain, bien qu’il ne subsiste dans les procès-verbaux même authentiques de la Commune, soit au compte rendu de la séance du 2 mars, soit au compte rendu des séances subséquentes, presque aucune trace des débats qui permettraient d’établir sans conteste la situation prise en ces circonstances si graves par les élus révolutionnaires de Paris, et plus spécialement par les membres de la Commission exécutive qui avaient pour leur compte — il s’agit de ces derniers — avec toute la direction, toute la responsabilité. Ceci est certain : la proclamation dont nous parlions plus haut en fait foi. Aussi le récit de la journée du 2 avril, qui se lit dans le mémento si scrupuleusement tenu par Lanjalley et Corriez, et où les faits notés en quelque sorte heure par heure sont donnés comme ils apparaissaient à deux témoins impartiaux assez indépendants et détachés pour n’introduire dans leur jugement aucune préoccupation de coterie ou de personne. La vérité, celle qui résulte de l’examen des instructions et des faits est donc bien celle-ci : d’abord que la sortie ne pouvait être évitée, qu’aucune puissance ne l’aurait empêchée ou ajournée, ensuite que la Commission exécutive, expression et mandataire de la Commune, résista néanmoins autant qu’elle le put, mais fut bien vite débordée, qu’en dehors d’elle, sans souci de ses réserves et de ses interdictions que la garde nationale du reste ignora, la population parisienne poussa droit devant soi et, les yeux bandés, se précipita à la gueule des canons versaillais.