Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/365

Cette page a été validée par deux contributeurs.


SORTIE DU 3 AVRIL


C’était un dimanche, nous l’avons dit. Dix heures du matin, les Parisiens flânaient et musardaient dans les rues, devisant aux tables des cafés, au comptoir du marchand de vins ; les ménagères allaient aux provisions ou en revenaient ; les gamins jouaient sur les trottoirs quand, interloqués, surpris, tous entendirent retentir à l’horizon la grande voix du canon. Les uns pensaient : ce sont les artilleurs de Montmartre qui s’égayent ; d’autres : ce sont les Allemands qui célèbrent bruyamment quelque saint de leur calendrier. Mais non, le grondement d’orage venait de l’Ouest, de Courbevoie ou de Neuilly. Pas de doute possible, c’était l’armée des ruraux qui prenait l’offensive, les premiers obus versaillais qui mordaient les pierres des fortifications. Depuis plusieurs jours, sans doute, quelques coups de fusil avaient été tirés aux avant-postes entre grand-gardes versaillaises et parisiennes en contact vers Courbevoie, Meudon et Clamart ; mais ces escarmouches avaient été sans portée ni gravité ; elles ne représentaient pas une action d’ensemble, ne relevaient pas ou ne semblaient pas relever d’un plan méthodique et concerté. Elles laissaient en conséquence la situation en l’état, ne troublaient pas, dans leur rêve d’apaisement et de conciliation, les dormeurs éveillés qui, dans l’enceinte, restaient légion, Mais, en cette matinée du 2 avril, les choses changeaient d’aspect. Des masses serrées et compactes, avec artillerie, équipages et ambulances, une armée en campagne marchait sur Paris. Le canon parlait, disant le ferme propos de la Contre-Révolution de ne s’en remettre qu’à la force pour sanctionner le conflit. Le pas décisif était franchi ; la guerre civile commençait.

Voici comment l’attaque s’était produite. À huit heures et demie du matin un détachement de gendarmerie se présentait au pont de Neuilly, occupé par quelques gardes nationaux, et tentait de forcer le passage. Repoussé, il était suivi dans sa retraite par deux ou trois bataillons fédérés, dont le 37e, de Puteaux, qui s’était joint aux Parisiens. Ayant reçu du renfort, les gendarmes faisaient alors volte face, et durant trois quarts d’heure, des feux de peloton très meurtriers se succédaient des deux côtés. Les gardes nationaux tenaient bon quand les obus se mirent à pleuvoir dans leurs rangs. C’étaient les canons et mitrailleuses établis par Vinoy sur le versant du Mont-Valérien qui entraient en ligne. Les fédérés ne disposaient pas d’artillerie pour la riposte ; une panique s’empara d’eux et en désordre ils repassèrent la Seine. Là, leurs officiers les rallièrent derrière la barricade qui couvrait l’entrée du pont, sur la rive droite, et le combat de mousqueterie recommença.

Pendant que se déroulaient rapides les péripéties de cette escarmouche, les troupes versaillaises achevaient, à quelque distance de là, leur concentration.