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des brigands, qu’on les écrase. Silence aux pacificateurs et aux conciliateurs, et place à la force qui décidera.

Le 1er avril, le parti de Thiers est pris définitivement. Comme nous venons de le rappeler, il a coupé Paris de toutes ses communications avec l’extérieur ; il arrête au passage la correspondance et confisque les journaux ; il sait donc que, passées les fortifications, seule sa voix dorénavant portera et sera entendue. Tranquille, il peut mentir sans crainte et il en use. C’est à 12 h. 45 du matin qu’il lance à ses préfets sa troisième circulaire. Dans quelques heures, il dirigera contre la capitale ses premières colonnes d’assaut, et il tente cyniquement de déshonorer son adversaire avant de le poignarder, afin de décourager tout élan de solidarité ou même de pitié qui risquerait de faire dévier le poignard. Voici comment il s’exprime à cette minute suprême : « À Paris, la Commune déjà divisée, essayant de semer partout de fausses nouvelles et pillant les caisses publiques, s’agite, impuissante, et elle est en horreur aux Parisiens qui attendent avec impatience le moment d’en être délivrés. L’Assemblée nationale, serrée autour du gouvernement, siège paisiblement à Versailles, où s’achève de s’organiser lune des plus belles armées que la France ait possédées. Les bons citoyens peuvent donc se rassurer et espérer la fin prochaine d’une crise qui aura été douloureuse mais courte ».

La presse de conservation sociale, et il n’y en a guère que de celle-là à l’époque, renchérit naturellement sur le thème fourni par le Pouvoir exécutif. Parie est à feu et à sang, aux mains d’une bande de repris de justice et de forçats échappés des bagnes de toutes les nations qui se sont donné rendez-vous pour la destruction et pour le pillage. La légende qui facilitera dans deux mois l’égorgement et le légitimera est déjà née. L’armée peut y aller.

«  L’une des plus belles armées que la France ait possédées », a télégraphié Thiers. Tout, en effet, pour le réaliste vieillard, se résumait en ce point : avoir une armée à son service, au service de sa classe, une armée, c’est-à-dire la force. Avant le 18 mars, c’était là sa préoccupation dominante, alors que déjà il rêvait de « soumettre » Paris. Après le 18 mars, cela devient une idée fixe, tourne à la hantise. C’est à la reconstitution de cette armée, instrument passif de ses desseins sanglants, qu’immédiatement il applique toutes ses aptitudes et apporte tous ses soins.

Nous avons à cet égard les confidences laudatives de son entourage. Nous avons surtout sa propre déposition à la Commission d’enquête, caractéristique à plus d’un titre. On a ri des prétentions de l’homme qui se tient pour un foudre de guerre, un émule de Frédéric ou de Napoléon et qui, énumérant complaisamment tous les problèmes de tactique qu’il eut à résoudre, toutes les difficultés stratégiques qu’il eut à vaincre, ne parle que tranchées, cheminements, escarpes et contre-escarpes, feux de flanc, feux plongeants et brèches, comme s’il conférenciait à quelque école de balistique ou de pyrotechnie. Ce