Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/357

Cette page a été validée par deux contributeurs.

institution. La Commune, en attendant de faire mieux, ce qui allait bientôt venir, déclarait le 29 mars : « Article unique. — La vente des objets déposés au Mont-de-Piété est suspendue », mettant fin ainsi aux brigandages des filous : brocanteurs et marchandes à la toilette qui s’enrichissent légalement des dépouilles des plus pauvres entre les plus pauvres.

Entre l’Assemblée nationale et la Commune la population parisienne pouvait-elle en conséquence hésiter ? L’Assemblée nationale était l’ennemie, la Commune était l’amie. Celle-ci apportait, fraternelle et attentive, ce que celle-là, étrangère et hostile, refusait : celle-ci pansait les plaies que celle-là ne songeait qu’à envenimer. L’Assemblée triomphant, c’était non seulement la République compromise, étouffée sans doute, mais aussi Paris en quarantaine, Paris maudit, molesté et humilié sans pitié ; la Commune victorieuse c’était, au contraire, avec la République consolidée, sûre de l’avenir, Paris, dans une atmosphère de liberté, se relevant promptement de ses ruines et reprenant sa place à la tête du pays. Cela se voyait clair comme le jour, évident comme la vérité. La population parisienne toute entière pencha donc délibérément, ces premiers jours, du côté de la Commune, exception l’aile d’une poignée de capitalistes et de valets à leurs gages. Encore ces derniers se turent-ils, firent-ils les morts.

Une circonstance nouvelle vint porter l’exaspération contre l’Assemblée rurale à son comble. Il s’agit de la désorganisation par le gouvernement versaillais de la dernière Administration mixte, à la fois nationale et municipale, qui fonctionnait encore dans la capitale, celle des Postes et des Télégraphes. Le 30 avril, Rampont, le directeur auquel Thiers avait jusque-là permis de se maintenir à son poste, recevait l’ordre de rejoindre Versailles comme tous ses congénères et il partait furtivement entraînant derrière lui partie de ses subordonnés, les plus compétents, léguant comme consigne à ceux qui restaient de s’abstenir de tout service. La grève des bras croisés, en définitive, car nos maîtres bourgeois ont tout inventé et tout pratiqué, quand il fut question pour eux de se défendre ! De ce fait, Paris soudainement se trouvait privé derechef de tout contact avec l’intérieur.

Le coup était sensible pour tous les habitants, plus sensible encore pour les gens de la classe moyenne, notamment à la veille de l’échéance d’avril et au moment où commerçants et industriels renaissaient à peine à la vie et essayaient, au prix de mille difficultés, de renouer avec la province et l’étranger le trafic interrompu depuis plus de sept mois. Au matin du 31 mars, ni lettres ni journaux n’avaient été distribués. En outre, tous les bureaux de poste étaient hermétiquement clos ; les facteurs désœuvrés erraient par les rues, sans leur boîte. Ce brusque arrêt des organes perfectionnés de relations devenus, avec l’habitude, quasi-indispensables à la vie des grandes collectivités humaines avait quelque chose de sinistre et d’apeurant, d’autant que chacun se demandait anxieusement si cet arrêt n’était pas le prélude de catastrophes