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antérieurement, avec le procès-verbal de la séance du 29 mars (soir), la nomenclature et la composition, cette Commune tenta d’échapper au chaos dans lequel elle se sentait descendre ; elle essaya de restaurer quelque ordre dans le désordre universel et de pourvoir à la vie toute entière : matérielle, intellectuelle et morale de ce grand Paris que Thiers lui laissait en charge. Services municipaux, services nationaux ; œuvres de paix, œuvres de guerre, elle prit tout à son compte. Il le fallait bien, puisqu’elle était seule.

À l’une de ces commissions. Commission exécutive permanente, était dévolu le rôle capital et particulièrement ingrat de coordonner tous les efforts et de donner force de loi aux décrets et décisions de l’Assemblée. La Commission exécutive fut donc le véritable gouvernement de la Commune et, plus qu’ailleurs, c’est dans son sein que devaient se révéler les périls et la gravité de la situation, se manifester l’isolement angoissant dont nous avons parlé. Les hommes de la Commission exécutive sentaient la nécessité de tendre et de tendre jusqu’à les rompre tous les ressorts de la machine et ils s’apercevaient que ces ressorts étaient tordus, faussés, brisés et qu’ils n’avaient plus devant eux qu’un tas de ferrailles, sans âme et sans emploi. Ils prenaient des résolutions, ils donnaient des ordres et ils ne possédaient personne autour d’eux pour porter ces ordres, personne pour transmettre et appliquer ces résolutions. Il aurait fallu qu’ils fussent au courant de toutes choses et ils ne savaient rien. Aucun renseignement sérieux, fondé, circonstancié ne leur était procuré. Ils jugeaient sur des vraisemblances, tablaient sur des racontars, statuaient sur des probabilités. Il n’eut jamais été plus nécessaire de gouverner, comme ils le voyaient et le voulaient, et jamais on ne put moins gouverner. Maître Jacques de la Révolution, il leur fallait être à la fois dictateur et gendarme ; tel Tridon appréhendant au collet, de sa propre main, Cluseret, délégué à la guerre, dont il venait, avec Vaillant, de décider l’arrestation. Bref, ils allaient sous un brouillard opaque, cherchant à tâtons leur chemin et ignorant, dans leur marche incertaine, s’ils se heurtaient à un ami ou à un ennemi, à un compagnon de lutte ou à un traître, à un communeux comme eux ou à un agent de Versailles.

Si désespérée qu’elle fut, la partie pourtant était engagée et il la fallait jouer. Que l’enjeu apparut ou non perdu d’avance — et cet enjeu n’était rien moins que la liberté et la vie d’un peuple entier — il n’y avait pas de remise possible. Au reste, l’illusion est si contagieuse dans le feu de l’action et la chaleur du combat, que les plus lucides, au contact de la foule en délire, en viennent à se duper et à s’étourdir eux-mêmes et à espérer contre tout espoir.

Or, autour de la Commune, autour de sa Commission exécutive, nul ne doutait de la victoire ; c’était bien une conviction quasi-unanime que Versailles, s’il engageait les hostilités serait écrasé, que l’armée régulière ne résisterait pas au choc de la garde nationale, se débanderait, lèverait la crosse en l’air.

À Paris, certes, et nous l’avons dit, les sympathies actives de toute la population