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le moteur aussi bien que l’agent, n’apprendra que plus tard à fondre et à forger les armes perfectionnées pour son combat.

Le voilà, nous semble-t-il, l’obstacle vrai auquel buta la Commune, celui qu’elle ne tournera pas, qu’elle ne surmontera pas.

Au début de cet historique, nous avancions, si on s’en souvient, que la Commune avait surgi six mois trop tard, quand l’heure propice avait fui. On voit mieux maintenant le pourquoi de cette affirmation. C’est parce que six mois auparavant, vers septembre ou octobre 70, la Commune n’eut pas rencontré les difficultés sous lesquelles elle succomba en mars 71, ces difficultés que nous avons tenté d’analyser et de souligner dans les pages précédentes. Au jour de l’investissement de Paris par les Prussiens, les conjonctures sans doute étaient plus tragiques pour un gouvernement quelconque ; elles étaient moins critiques. Maîtresse de l’Hôtel de Ville, la Commune Révolutionnaire se fut alors imposée. Non seulement elle eut eu pour elle l’unité de pensée et d’action qui manqua à la Commune élue, mais elle aurait disposé de tous les moyens ordinaires et extraordinaires pour se faire entendre, suivre, servir. Elle se fut assise, pouvoir aussi incontestable et aussi incontesté que celui des hommes du 4 Septembre. Elle eut mis la main, une main hardie, sur un mécanisme administratif intact, dont aucun rouage n’aurait pu être évidé et faussé.

Le capitaine gouvernant sous la tempête, à mille lieues des côtes, entre le ciel tonnant et la mer démontée, est « maître après Dieu » sur le pont du navire. Paris était l’esquif battu par la vague germanique, n’apercevant, sous la pluie des obus et des bombes, que le flot toujours grossi qui déferlait de l’Est et du Nord et déjà recouvrait autour de lui, à cent et deux cents kilomètres, toute la terre de France. Contre le capitaine du navire-Paris, qu’il s’appelât Commune ou de tout autre nom, qui donc, dans la tourmente, parmi l’équipage eut été assez osé pour se rebeller ? Quel eut été le recours du misérable ou de l’audacieux, sa planche de salut, son camp de refuge, le Versailles où aller se faire payer le prix de son abandon et de sa traîtrise ? Nul assurément ne se fut dérobé à la manœuvre commandée, pas plus chez le civil que le militaire. Du commis au directeur, de l’adjudant au général, chacun se fut incliné, eut gardé son poste, son rang. Et si la Commune avait su animer l’équipage du vaisseau, je veux dire les combattants de la capitale assiégée, d’une ardeur de résistance à outrance, si elle avait su imprimer à la défense une impulsion puissante qui la tournât en offensive vengeresse, elle dominait tout, les événements et les hommes. Elle était le gouvernement du peuple armé, debout contre le capitalisme prussien agresseur pour la sainte croisade de l’indépendance nationale, sous l’égide de la République. Rien ne l’empêchait alors de tailler dans le vif, à pleins ciseaux, d’aiguiller comme il lui aurait plu, autant qu’il lui aurait plu dans la voie des transformations sociales profondes et irrévocables, et de l’établissement d’un régime de démocratie égalitaire. La Commune, c’est-à-dire le parti de la Révolution, tenait en son jeu, comme il l’avait tenu en 93, l’atout