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communication avec le monde ambiant, le monde même de ses amis et de ses partisans. Les moyens d’intervention et d’action normaux, habituels, traditionnels lui échappent et il n’a, pour en marteler d’autres mieux à sa main, ni le temps, ni la matière, surtout la matière. La bourgeoisie républicaine, petite et moyenne, qui aurait pu lui fournir cette matière, s’écarte et renonce, peu soucieuse de collaborer à une œuvre qu’elle appréhende ne pas être sienne et devoir étrangement déborder dans ses conséquences prochaines ses propres conceptions étriquées et égoïstes. Quant au prolétariat, il est insuffisamment éduqué et formé, prisonnier trop encore de l’ignorance et de l’inconscience pour procurer à un gouvernement, issu de ses entrailles pourtant, et avec qui il se sent évidemment en communion de pensée et d’intention, les capacités administratives, les compétences techniques, les énergies éclairées que celui-ci attend, qu’il réclame, dont il a le besoin le plus impérieux et le plus urgent.

Les travailleurs en sont encore alors à la phase initiale du mouvement qui doit les conduire, qui les conduira à l’intégrale libération. L’idée prolétaire s’exprime à la tribune, dans les clubs, aux prétoires où la traîne la justice bourgeoise, dans les journaux aussi, dans la brochure et dans le livre, déjà mûre, adulte, en pleine possession de soi. Elle se pense, car déjà Saint-Simon et Fourier, Blanqui, Proudhon et Karl Marx ont parlé. Elle se pense ; mais c’est tout, elle ne va pas plus loin ; elle demeure verbe ; elle ne s’est pas faite chair encore, c’est-à-dire institutions. La classe ouvrière, la parisienne, à plus forte raison la provinciale, commence à peine, quand elle commence, à créer de sa substance les organismes autonomes qui la manifesteront dans sa nubilité et qui, tendant à assurer selon un mode nouveau et adéquat au processus évolutif général les fonctions de production et de répartition des richesses, videront progressivement de tout contenu les institutions concurrentes de la classe adverse et réaliseront les éléments de la société future. Que l’Internationale et la notoriété que lui valurent ses détracteurs ne nous induisent pas en erreur : des institutions prolétaires qui seront, il n’existe guère en ces années 70 que les premiers linéaments : quelques Sociétés de résistance, quelques Chambres syndicales, ébauches des grandes Fédérations corporatives d’aujourd’hui et de demain, quelques « Marmittes », amorce de la splendide floraison coopérative à base communiste, qui même de nos jours ne fait que s’annoncer. N’ayant pas les institutions, la classe ouvrière n’a donc pas le personnel et ne peut offrir ce qu’elle ne possède pas encore. Elle donnera à la Commune ce qu’elle a, tout ce qu’elle a : le bras qui arme et épaule le fusil, l’œil qui vise, son sang, sa vie : elle ne saura faire plus.

Ainsi, parvenons-nous à cette double et amère constatation : La Révolution, selon le mode ancien, n’était plus possible puisque la bourgeoisie, qui demeurait de par ses capacités le facteur essentiel du mouvement, refusait de se porter de l’avant, de franchir une autre étape ; la Révolution, selon le mode nouveau, n’était pas possible encore puisque le prolétariat, qui eut dû en être