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avait que demi-mal, car il est probable que ces fuyards demeurés dans la place se fussent comportés comme autant de traîtres. Sans doute, il n’y aurait même pas eu de mal du tout, au contraire, si la Commune avait pu, sans délai, leur trouver des substituts : mais ces substituts, elle ne les trouva pas. Les classes bourgeoises et instruites, si portées d’instinct à la conquête des places, toujours si disposées à émarger au budget, se révélèrent à ce moment étrangement réservées et circonspectes. Quelques fils de familles s’étaient bien offerts les premiers jours : mais bien vite ils s’éclipsèrent, cessèrent de postuler, même de se montrer.

C’est que la Commune se flattait d’être, voulait être un régime a bon marché. Elle ne faisait pas un pont d’or à qui aspirait à l’honneur de sa livrée. 500 francs était le maximum de rémunération mensuelle qu’elle consentit à ses serviteurs, et de ce maximum elle fut plutôt chiche, Personnellement, ses membres ne s’octroyèrent jamais, pour leur compte, plus de 15 francs par jour, et tout cumul était interdit. D’autre part, les jeunes bourgeois qui s’en étaient venus rôder, vers le 26 mars, dans les couloirs de l’Hôtel de Ville, n’avaient pas tardé à s’apercevoir que le nouveau gouvernement ne flairait pas la même odeur que ses devanciers ; il sentait le peuple, la classe ouvrière : parfums offusquants pour des narines délicates. Pareil régime durerait-il ? Le doute était permis, et, en conséquence, la prudence recommandait de ne pas s’embarquer sur sa galère — galère de bagne prévoyaient déjà les plus poltrons ou les plus avisés.

Pour les mêmes causes, la Commune manqua également, manqua davantage encore du haut personnel directeur, de celui qui, essentiellement, expressément sert de trait d’union entre le pouvoir central et les services divers, communique à ces services l’impulsion et veille à ce que les efforts individuels de toutes les unités composantes convergent avec ensemble au but que le pouvoir se propose. Ce personnel, la Commune ne put l’obtenir, et partiellement, qu’en détachant ses propres membres, pris parmi les plus appliqués et les meilleurs naturellement, à des postes qui ne laissaient pas d’être, jusqu’à un certain point, incompatibles avec leur mandat de représentants élus à la Commune, sans compter que ces cumulards d’un nouveau genre, astreints et rivés de la sorte à des tâches spéciales, limitées, étaient empêchés de s’associer aussi pleinement qu’il eût convenu à la besogne politique qui d’abord leur incombait. Par exemple Varlin, détaché à l’Intendance, Theisz aux Postes, Beslay à la Banque.

Qu’est-ce à dire, sinon que la Commune, par la conspiration des choses et par celle des hommes, se trouva aux prises avec une situation inextricable et qu’il ne lui servit de rien d’avoir derrière elle deux cent mille électeurs et cent mille baïonnettes, puisqu’elle ne pouvait ordonner ces forces, les disposer et les organiser en vue des dures épreuves qui s’annonçaient. Sitôt élu, sitôt né, le nouveau gouvernement apparaît isolé, sans attaches, coupé de toute