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Commune de se définir elle-même, de faire connaître au dehors qui elle était, ce qu’elle comptait entreprendre et exécuter. Il n’était pas effectivement pour elle problème à solutionner plus délicat et plus grave. Comment se poserait-elle en face du gouvernement de Versailles ? Le reconnaîtrait-elle ? Le nierait-elle ? Et conséquemment se comporterait-elle simplement comme Assemblée municipale parisienne sans plus, agissant seulement pour Paris, dans l’intérieur des murs ou se comporterait-elle comme pouvoir central agissant, légiférant pour la France entière ? Option redoutable ! Toute l’orientation du mouvement en dépendait comme tout son sens et sa portée historiques en découleraient.

Deux textes, ici, deux esprits pour mieux dire s’opposèrent. La Commune — on l’a lu dans les procès-verbaux des 28 et 29 mars — avait d’abord confié à Lefrançais, Ranc et Vallès, le soin d’élaborer sa proclamation inaugurale.

Le projet qu’ils présentèrent se lit dans l’Étude sur le Mouvement communaliste que Lefrançais publia en exil dès 1871[1]. Ce projet, indique le procès-verbal de la séance du 29 (après-midi) fut rejeté à cause de sa longueur. Il fut écarté aussi et surtout en raison de l’esprit de fédéralisme outré dans lequel il était conçu. Les rédacteurs, en effet, y circonscrivaient jalousement l’action de la Commune à Paris. C’est d’exemple, et d’exemple uniquement, que la nouvelle assemblée aurait prêché. Muré dans son enceinte, confit dans son autonomie propre, Paris ne s’emploiera pas positivement et directement à libérer les autres communes du pays. Il est prêt, et c’est tout, à faire un pacte d’alliance avec celles qui lui enverront leur adhésion. Lefrançais signale qu’une majorité considérable se prononça contre son texte. « On le jugea trop pâle. », dit-il. De fait, ses collaborateurs et lui, tout à leur pensée de l’instauration immédiate d’un régime d’autonomie illimitée, n’avaient même pas l’air de se douter, qu’à vingt kilomètres du siège de leurs séances, un ennemi implacable guettait et affilait son couteau.

La Commune donna son acquiescement à un second projet qui lui fut présenté par une nouvelle Commission composée de Paschal Grousset, Protot, Tridon et Vaillant, projet rédigé du point de vue centraliste et où l’inéluctabilité du combat contre Versailles, non plus pour la reconnaissance des libertés communales, mais pour la sauvegarde et le développement de la République ressortent des données d’une situation exposée dans sa réalité.

  1. G. Lefrançais. — Étude sur le Mouvement Communaliste à Paris, en 1871, pages 196 - 197. — Le titre seul de l’ouvrage en indique la tendance. « Communaliste », c’est ce côté très accessoire en somme du mouvement qui, pour l’auteur, prime tout le reste. Ce qui ne veut pas dire que le récit de Lefrançais ne soit pas des plus intéressants à consulter et des plus suggestifs. Ce qui ne veut pas dire non plus que l’auteur ne fut pas un socialiste. Socialiste, il l’était, et l’un des plus conscients de l’époque ; mais il avait avec cela la manie libérale ou libertaire. Il voulait pendant la liberté qui ne pouvait être qu’après.