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vont, en cette période décisive des débuts, contribuer largement à paralyser l’ardeur combative d’une assemblée qui n’aurait dû avoir d’autre objectif que la lutte, d’autre étude que celle des moyens d’intensifier et de prolonger cette lutte. Le moment est donc opportun pour les marquer, les souligner en faisant appel au témoignage même des intéressés et en éclairant par ce témoignage les données qui déjà résultent des procès-verbaux qu’on vient de lire. Les membres de la minorité, particulièrement, se sont expliqués sur ce thème, tandis que se taisaient plutôt les membres de la majorité. Ne pouvant tout citer cependant, nous nous en tiendrons aux impressions d’Arthur Arnould, qui, plus que Lefrançais, Malon ou Beslay, bien qu’appartenant à la même nuance d’opinion, a réellement fait effort sincère pour analyser avec clarté et méthode les raisons qui, dès l’origine, groupèrent à l’écart l’un de l’autre, sinon l’un contre l’autre, le clan qui devait devenir la majorité et le clan qui devait s’appeler la minorité : les Révolutionnaires-Jacobins et les Socialistes-Fédéralistes.

« Les mots, dit Arthur Arnould[1] étaient compris de deux façons différentes par les divers membres de l’Assemblée. Pour les uns, la Commune de Paris exprimait, personnifiait la première application du principe anti-gouvernemental, la guerre aux vieilles conceptions de l’État unitaire, centralisateur, despotique. La Commune, pour ceux-là, représentait le triomphe du principe de l’autonomie, des groupements librement fédérés et du gouvernement le plus direct possible du peuple par le peuple. À leurs yeux, la Commune était la première étape d’une vaste Révolution sociale autant que politique qui devait faire table rase des anciens errements. C’était la négation absolue de l’idée de dictature ; c’était l’avènement du Peuple lui-même au pouvoir et, par conséquent, l’anéantissement de tout pouvoir en dehors et au-dessus du Peuple. Les hommes qui sentaient, qui pensaient, qui voulaient ainsi, formèrent ce qu’on appela plus tard le groupe socialiste ou minorité.

« Pour d’autres, la Commune de Paris était au contraire la continuation de l’ancienne Commune de Paris, de 1793. Elle représentait à leurs yeux la dictature au nom du Peuple, une concentration énorme du pouvoir entre quelques mains et la destruction des anciennes institutions par la substitution d’abord d’hommes nouveaux à la tête de ces institutions transformées momentanément en armes de guerre au service du Peuple contre les ennemis du Peuple.

« Parmi les hommes de ce groupement autoritaire, l’idée d’unité et de centralisme n’avait pas complètement disparu. S’ils acceptaient, s’ils inscrivaient sur leur drapeau le principe de l’autonomie communale et de la libre fédération des groupes, c’est que ce principe leur était imposé par la volonté de Paris… D’ailleurs, dominés par des habitudes d’esprit contractées pendant une longue existence de luttes, de revendications, dès qu’on arrivait à l’acte,

  1. Arthur Arnould. — Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris.