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l’anglaise, sauf Tirard qui crut devoir claquer les portes, sans doute parce qu’il en avait reçu consigne de Thiers, son augure et son patron. À la séance du 28, le député-maire du IIe marquait nettement, en un langage provocant, les raisons pour lesquelles il ne siégerait pas à la Commune et se solidarisait avec l’Assemblée versaillaise. Lefrançais, en riposte, réclama non l’acceptation de la démission, mais l’invalidation de l’élection. Démission, invalidation : pure querelle de mois. Ce qui importait, c’était la retraite même de Tirard, coupant définitivement les ponts, niant par sa manœuvre ultime le semblant de conciliation qui avait paru s’opérer entre les maires et le Comité central, signifiant par une sortie motivée que la haute bourgeoisie républicaine séparait sa cause de celle du peuple ouvrier, mais aussi, mais en revanche, laissait les élus de ce peuple maîtres absolus de diriger à leur volonté la lutte de Paris contre Versailles.

Le 30 mars, il ne siégeait plus à l’Hôtel de Ville un seul des représentants thiéristes pour qui avaient voté les boutiquiers et petits rentiers des Ier, IIe, VIe, IXe et XVIe arrondissements : Desmarets, Ferry, Nast, Brelay, Chéron, Robinet, Pruneau, Marmottan, Rochat, Barré, Adam, Méline. Ce dernier, dit-on, avait doctoralement déclaré à des députés dans la matinée du 28 mars : « Je viens de passer ma nuit à relire le Principe Fedératif, de Proudhon ; ces gens-là ont raison. Restez à Versailles ; nous resterons à l’Hôtel de Ville et nous ferons de grandes choses ». Il ne s’en comporta pas moins comme les camarades. Vingt-quatre heures ne s’étaient pas écoulées qu’il avait oublié Proudhon, le Principe Fédratif, et rejoint jusqu’à Versailles inclusivement, le Parti de l’Ordre, qui devait le mener où l’on sait.

Cet exode général des tenants de la République tricolore était un avertissement en même temps qu’un débarras. Il disait à ceux qui demeuraient, aux champions de la République rouge : « Serrez les rangs. Renoncez à vos théories et à vos thèses, à vos principes et à vos systèmes. Pas de métaphysique mais de l’action. La Commune ne peut pas être un parlement ; le sort a voulu qu’elle fut une barricade. Apprenez donc à tendre toutes vos énergies en vue de la lutte terrible, où la fatalité des événements vous entraîne ». L’avertissement était clair ; il était brutal : les procès-verbaux qu’on a pu lire plus haut sont là cependant pour nous enseigner qu’il ne fut pas entendu. Les tendances contradictoires qui s’étaient manifestées au premier échange de motions n’abdiquèrent pas, ne se combinèrent pas. Au contraire, la friction quotidienne alla multipliant plutôt les points douloureux et aggravant la mésintelligence et le conflit.

À cet instant du récit, il n’est pas sans intérêt de consulter sur l’opposition de ces tendances, ceux-là mêmes des membres de la Commune qui en ont écrit. Sans doute, ces tendances ne s’affirmeront nettes et précises et ne se concrèteront sous forme de partis que plus tard, dans quelques semaines. Pourtant, elles n’en existent pas moins déjà ; elles n’en agissent pas moins et