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par des explications orales. Il y a donc là schéma de procès-verbal plutôt que procès-verbal et, en conséquence, on jugerait inexactement de la tenue et de la fermeté du débat, si on négligeait de faire entrer en ligne ce correctif indispensable.

Les premières séances de la Commune ressemblèrent, au demeurant, à l’ordinaire des séances d’une assemblée nouvelle, quelle qu’elle soit, qui ne se glisse pas dans un moule tout fait, préparé pour la recevoir. La Commune ne succédait pas, elle inaugurait. Non seulement elle se trouvait en présence d’une situation exceptionnelle, presque sans analogue dans le passé ; mais, administrativement, elle n’avait devant elle que le néant et rien ne le démontre mieux que les procès-verbaux en question. Personne, même pour faire sa cuisine intérieure. Elle-même, elle seule, devait parer à cela comme au reste. Voilà la première réflexion que suggère la lecture des procès-verbaux que nous venons de reproduire, et elle n’est pas indifférente.

La seconde est celle-ci, c’est qu’il n’y avait pas, entre les personnalités ainsi fortuitement rapprochées, pénétration intime, concordance de vues, accord sur les procédés de combat et de salut. Les élus communaux, ceux qui devaient rester jusqu’au massacre à l’Hôtel de Ville, se connaissaient peu ou point les uns les autres, et, pis encore, ne parlaient pas le même langage et ne pouvaient pas se comprendre. Qu’ont-ils à cette heure qui les relie et qui les soude ? Un sentiment commun que nous avons déjà noté, sentiment d’aversion profonde pour l’Assemblée rurale, qui, de Versailles, menaçait la République, et encore une aspiration commune, aspiration vague vers un idéal de justice sociale, d’émancipation prolétarienne appelant les travailleurs à bénéficier à leur tour des droits conquis au siècle passé et jusqu’à ce jour monopolisés par la bourgeoisie. Le lien ne vaut pas ; il est trop lâche et trop précaire pour des hommes qui auraient dû ne former qu’un bloc, n’avoir qu’un cerveau et qu’une volonté. C’est une collaboration entière, absolue que les circonstances commandaient, une entente aussi parfaite que possible dans le conseil et dans l’acte. Il fallait être d’avis sur le but, mais aussi et autant sur la tactique. Avant tout, il s’agissait de trouver, de combiner les moyens qui permettraient à Paris de développer les conséquences de son mouvement insurrectionnel, soudainement victorieux par la défaillance volontaire ou involontaire de l’ennemi, et ces moyens arrêtés, convenus de les utiliser avec ensemble, concert et méthode. Or, à cet égard, les nouveaux élus, par le disparate de leurs origines, de leur éducation, de leur mentalité, étaient voués à un désaccord fatal. Divisés en deux ou trois clans : Jacobins, Blanquistes, Fédéralistes, ils sont au départ et resteront jusqu’au terme presque étrangers les uns aux autres.

Pourtant, ils eurent aussitôt le champ libre. La présence de quelques éléments inassimilables, que la volonté bourgeoise des quartiers du centre avait introduits dans leurs rangs, aurait pu les gêner, les contrarier dans leurs desseins et leurs démarches. Ceux-ci s’éliminèrent d’eux-mêmes ; ils filèrent à