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Napoléon, de la « Défense », qui n’eussent pas été traînés devant les tribunaux de la Bourgeoisie régnante, incarcérés dans ces geôles, enfouis dans ses bagnes et ses cachots. À eux tous, ces hommes représentaient certainement plusieurs siècles d’embastionnement, de déportation et d’exil. Blanqui en comptait déjà pour sa seule part vingt-huit années, Delescluse dix-neuf, Félix Pvyat à peu près autant, Gambon, Miot, Allix huit ou dix années chacun. Emprisonnés aussi pendant des mois et des mois les publicistes d’avant-garde. Cournet, du Réveil, dix fois condamné : Vermorel, du Courrier Français, hôte presque constant de Sainte-Pélagie durant la dernière période de l’Empire ; Flourens, de la Marseillaise ; Jules Vallès, Razoua, Paschal Grousset ; et les orateurs de clubs qui parlaient leurs articles et leurs polémiques au lieu de les écrire : Lefrançais, Demay, Amouroux, J.-B. Clément, et les blanquistes sans répit traqués, poursuivis comme leur maître : Eudes, condamné à mort à la suite de l’échauffourée de La Villette et sauvé par la Révolution du 4 Septembre ; Tridon, passant dès 1865 de la prison à l’exil et de l’exil à la prison : Duval, Raoul Rigault, Th. Ferré, et les membres de la courageuse phalange de l’Internationale : Varlin, Malon, Theisz, Frœnckel, Avrial, E. Gérardin, Langevin, à trois reprises poursuivis et frappés pour association illégale et impliqués en tout ou en partie dans tous les procès mémorables de l’époque, avec Assi à la suite des grèves du Creuzot, avec Chalin, Dereure, dix autres dans le grand procès policier de Blois.

Mais trop de martyre lasse parfois. Ces hommes n’étaient pas que des persécutés ; ils ne symbolisaient pas que les humiliations, les souffrances endurées vingt ans par tout un parti, par toute une classe. Ils étaient des lutteurs, non moins. S’ils avaient reçu des coups, ils en avaient porté. Polémistes de presse ou orateurs de club, ils avaient été le verbe enflammé et vengeur des faubourgs en agitation incessante déshabillant, fustigeant publiquement la camarilla impériale, démasquant d’aventure les républicains bourgeois qui s’essayaient dès lors au jeu opportuniste, dénonçant, stigmatisant les tares du régime politique et, par de là celles-ci, les tares de la société même, son iniquité économique essentielle et fondamentale. Organisateurs et conspirateurs, ils avaient travaillé et abouti dans une large mesure, ceux de l’Internationale et ceux de l’entourage de Blanqui, à grouper, à coaliser dans des comités secrets ou déjà en de plus vastes sociétés de propagande et de résistance constituées à ciel ouvert, une classe ouvrière autonome agissant, manœuvrant, évoluant pour soi en vue de son double affranchissement politique et social.

Par dessus tout, et à cet égard l’épreuve fut décisive, ils étaient de braves gens, droits, honnêtes, loyaux, convaincus, d’un niveau moral infiniment supérieur à celui des dirigeants qui les avaient précédés au pouvoir ou qui les y suivirent. Défalcation faite de deux ou trois individualités suspectes, dont deux démasquées et exécutées en cours de mandat et de quatre ou cinq excentriques