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ment, ne seraient pas de mise. Les partis, qui venaient de se mesurer au scrutin, étaient à la fois davantage et moins des partis de classe que les partis contemporains : moins parce que les concepts théoriques ne sont pas alors aussi précis qu’ils le deviendront ; davantage parce que la situation générale plus tendue contraint les antagonistes, malgré la fièvre patriotique et l’équivoque républicaine, à être chacun de son camp, à rompre avec les apparences et les systèmes pour ne plus sentir que les réalités et les intérêts. La preuve en est que de ces partis, le premier et le deuxième n’allaient pas tarder à s’éliminer spontanément et le premier, même, à passer cyniquement de l’autre côté de la barricade, sous les fanions de Versailles. Seule à la Commune devait rester la majorité et c’est au sein de cette majorité que des scissions se produiront et que des clans rivaux se formeront et s’opposeront. Si la Commune a pour son malheur une histoire parlementaire, c’est à ce fractionnement nouveau qu’elle en sera redevable.

Des maintenant, il est donc permis de laisser de côté la minorité et de ne considérer que la majorité qui est déjà, qui sera, en tout cas, demain toute la Commune. Cette majorité, elle est, à n’en pas douter, la très exacte image du Paris ouvrier et révolutionnaire du temps. Fidèlement, elle en reflète les opinions ou mieux les impressions et les sentiments dans leur complexité heurtée et mouvante. Composite, hétérogène au premier chef, elle se présente faite d’éléments ne possédant aucun fonds de pensée commun, s’ignorant, quand ils ne se méconnaissent pas, et sans attache, sans cohésion, n’ayant d’autre lien que la haine de Versailles, de l’Assemblée de ruraux qui, sitôt née, a déclaré la guerre à Paris et à laquelle Paris doit tenir tête, s’il veut vivre. Le rêve de la Corderie n’a pu prendre corps. Ce n’est pas là et ce ne sera pas la Commune insurrectionnelle que les ardents du siège avaient voulu dresser, en lui insufflant, avec l’unité de pensée et d’action, le sentiment révolutionnaire si vif et si ferme dont ils étaient eux-mêmes embrasés. L’appellation s’y trouve ; l’esprit non. Bien que le Comité central n’ait fait pénétrer qu’une quinzaine de ses affiliés dans l’assemblée nouvelle, la Commune pseudo-légale, la Commune élue est sienne pourtant ; elle est de sa lignée, son héritière et sa fille. Par avance, il l’a marquée au sceau de son indécision et de son impuissance ; il lui a tracé sa voie incertaine, imposé son destin précaire. Elle n’échappera pas à cette prédétermination.

Telle quelle cependant, cette Commune, Paris l’aima, se laissa séduire, crut et espéra en elle ardemment, passionnément.

C’est qu’il n’en pouvait sentir alors l’impuissance et la débilité. Il n’en percevait que les aspects généreux, attirants et sympathiques. Il voyait là par lui appelés, par lui rassemblés et solidarisés, tous ceux qui avaient le plus âprement lutté et le plus cruellement souffert sous les régimes antérieurs. Bien peu parmi ces élus qui n’eussent pas payé de leur personne, qui n’eussent pas été condamnés, frappés sans pitié par la justice de Louis-Philippe, de