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mystification ? À quoi tendait-elle ? Saisset savait bien, en la laissant placarder, qu’il disait le contraire absolu de la vérité. Moins que personne il ignorait la séance de la veille, la réception faite aux maires par l’Assemblée. Pourquoi donc mentait-il de la sorte. Par ordre de Thiers ? De son propre chef ? À la Commission d’enquête, ses explications pénibles, embrouillées, pleines de réticences qui se heurtèrent, très désagréablement pour lui, au témoignage de Tirard, n’éclaircirent pas le mystère.

Le Comité central, au reste, ne se donna même pas la peine de relever ce factum saugrenu ou criminel, les deux ensemble pour être vrai. Ce Saisset n’était qu’un fantoche. Le Comité alla droit au but, aux maires opposants, obstinés, du Ier et du IIe arrondissement. Le mandat de les amener à composition avait été confié à Brunel qui s’achemina tout d’abord vers la mairie du Louvre, avec 400 Bellevillois et 2 canons.

À la mairie, simulacre de résistance bien vite dompté. Brunel entre, parlemente avec Adolphe Adam et Méline, adjoints. Nos hommes dépêchent un émissaire à la mairie du IIe, où siégeait le gros des maires et, apprenant qu’ils ne seront pas secourus, cèdent. La mairie est abandonnée au Comité central, et on convient que les élections auront lieu le 30. Puis, côte à côte, sympathisant, les magistrats municipaux du Ier gagnent, avec Brunel et ses co-délégués, la mairie de la Banque pour y apporter la nouvelle de la convention conclue, les canons toujours suivant. Les gardes nationaux de l’ordre voyant amis et ennemis s’avancer ensemble réconciliés et fraternisant, laissent passer. Voilà Brunel chez les maires. La discussion alors recommence. Schœlcher, Dubail ne veulent pas en démordre : les élections au 3 avril, comme l’a semblé indiquer Picard, au nom du gouvernement ; le commandant en chef de la garde nationale élu au suffrage à deux degrés ou rien. Mais les autres maires et adjoints protestent. Ils sont las, soucieux avant tout d’empêcher l’effusion du sang. Eux aussi se rallient, forcent l’obstruction des derniers opposants. Tout le monde tombe d’accord que les élections municipales se produiront le 30 et que, d’ici cette date, les maires réintégreront leur mairie respective. Dans la rue, sur les boulevards, gardes nationaux de l’ordre et gardes nationaux du Comité central lèvent la crosse en l’air, s’embrassent. On pare de rameaux verts les canons, les gamins les chevauchent. C’est la paix.

À cette réconciliation il n’y avait qu’un inconvénient, à savoir que Brunel et ses co-délégués avaient outrepassé le mandat dont le Comité central les avait nantis. Le Comité maintint donc la date du 6 pour les élections. Il était urgent, en effet, que celles-ci s’accomplissent dans le plus bref délai, le gouvernement de Versailles ayant, par ses menées, désorganisé tous les services municipaux : octrois, voirie et le reste, sans parler des postes, et ces services devant être reconstitués au plus tôt, si l’on ne voulait pas perturber gravement et pour longtemps la vie matérielle de Paris. Ranvier et Arnold vinrent le soir à la réunion des maires porter l’ultimatum du Comité et se retirèrent