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porter la France au Rhin. Il sonne la fanfare d’un nationalisme vigoureux en proclamant qu’il n’y a pas de liberté intérieure pour un peuple sans la pleine indépendance extérieure et que cette pleine indépendance n’existera point pour le peuple français tant qu’il n’aura pas dilaté ses frontières et retrouvé la partie la plus nécessaire, la plus nationale des conquêtes de la Révolution. Cet intérêt est si vital pour la France et elle est menacée, si elle se résigne, d’une telle déchéance qu’il vaut mieux pour elle assumer seule le risque d’une guerre générale contre la coalition européenne, à la condition de bien comprendre qu’elle joue cette fois son existence même, qu’elle ne peut sans périr subir une invasion nouvelle, un amoindrissement nouveau, et que toute la terre du pays doit se soulever contre l’étranger avec la violence d’une convulsion naturelle. Toutes les tentatives gouvernementales seront vaines, la démocratie populaire sera frappée d’impuissance comme l’oligarchie bourgeoise, le peuple sera débile comme le pouvoir tant que le ressort de la vie nationale sera comprimé et faussé par les traités de 1815. « Plus j’y pense, plus je reste persuadé que ni le despotisme, ni la liberté, ni le gouvernement, ni les partis ne peuvent se fonder d’une manière assurée sur un État dont les bases ont été mutilées par la guerre, et que la paix n’a pas tenté de réparer. Chaque jour, je me convaincs que le pouvoir chancellera aussi longtemps que chancellera le pays, assis sur les traités de 1815 ; qu’il n’est pire fondement que la défaite ; que surtout il faut désespérer de la liberté si l’on ne peut recouvrer l’indépendance. L’État craque sur les bases menteuses que nos ennemis lui ont faites de leurs mains, et au lieu de le soutenir, nous nous rejetons les uns aux autres les causes de ce dépérissement général. Je vois autour de nous des pays, où l’on est unanime dans les projets de conquête ; ils marchent, malgré leurs divisions apparentes, comme un seul homme, à l’accomplissement de leurs desseins sur le globe. Et nous, non seulement nous nous interdisons, comme au vieillard de la fable, toute vaste pensée, tous longs espoirs, tout projet d’accroissement, mais nous ne pouvons même nous réunir pour reconnaître le mal qui nous fait tous périr.

« Pour la France, il ne s’agit pas tant de conquérir que de s’affranchir, non pas tant de s’accroître que de se réparer, elle ne doit pas faire un mouvement qui ne la mène à la délivrance du droit public des invasions. Tout ce qui est dans cette voie est bien, tout ce qui est contraire est mal. Royauté, république, juste-milieu, démocratie, bourgeoisie, aristocratie, hommes de théorie, hommes de pratique, tous ont là-dessus le même intérêt ; c’est le point où leur réconciliation est forcée, puisque chacun de nos partis ne sera rien qu’une ombre aussi longtemps qu’il n’y aura parmi nous qu’une ombre de France, et que nos débats intérieurs seront stériles et pour le monde et pour nous-mêmes tant que, d’une manière quelconque, par les négociations ou par la guerre, nous ne nous serons pas relevés du sépulcre de Waterloo. C’est ainsi que l’Allemagne est restée méconnaissable aussi longtemps qu’a duré le traité de Westphalie…. Je sais qu’il est dangereux jusqu’à la mort de toucher à ces traités (de 1815), mais