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de le renforcer, de tendre tous ses ressorts en vue de la victoire, presque inévitable, que les conjonctures préparaient. Supposez la Corderie à la place du Comité central et les choses changeaient radicalement d’aspect et de fond. Une volonté une, consciente du but, commandait au mouvement et d’emblée en coordonnait, reliait et dirigeait les manifestations. À une situation révolutionnaire, pour une lutte révolutionnaire, la Corderie offrait un mécanisme révolutionnaire. Les actes d’audace et de salut intervenaient de suite. Au contraire, confluent de courants divergents, chaos d’aspirations mêlées et confuses, le Comité central de la garde nationale était déshérité par essence de la faculté de décision indispensable aux heures de crise, de cette décision qui sauve tout parce qu’elle ose tout.

Le Comité central n’osa donc pas, et maître du pouvoir, maître de l’heure, installé à l’Hôtel de Ville, disposant de 300.000 fusils à tir rapide, de 2.000 bouches à feu, sa première pensée fut d’abdiquer, de rentrer dans la légalité, de convoquer les électeurs. Au lieu d’un appel aux armes, d’un coup de clairon dressant dans l’enceinte, pour les projeter hors de l’enceinte, les bataillons fédérés, les travailleurs de Paris, voici l’affiche qu’au matin du 19 il placardait sur les murs :

« Aux gardes nationaux de Paris,

« Citoyens, vous nous aviez chargés d’organiser la défense de Paris et de vos droits. Nous avons conscience d’avoir rempli cette mission. Aidés par votre généreux courage et votre admirable sang-froid, nous avons chassé ce gouvernement qui nous trahissait.

« À ce moment, notre mandat est expiré, et nous vous le rapportons, car nous ne prétendons pas prendre la place de ceux que le souffle populaire vient de renverser.

« Préparez donc et faites de suite vos élections communales, et donnez-nous pour récompense la seule que nous ayons jamais espérée : celle de vous voir établir la véritable République. En attendant, nous conservons au nom du peuple l’Hôtel de Ville. »

Pensée louable, pensée pieuse que n’avaient pas eu en tous cas les bourgeois révolutionnaires en février 48, non plus qu’au 4 septembre 70. Cette attitude originelle détermina la suite. Elle ouvrit notamment l’ère des pourparlers avec les maires qui acheva d’émasculer l’insurrection, lui ravit la chance de durée, sinon de succès final, qu’elle comportait à son aurore. Pour faire les élections, la volonté du Comité central ne suffisait évidemment pas. Il y fallait l’aide des maires, leur consentement, puisqu’ils détenaient les listes électorales.

Huit jours les négociations traînèrent, période confuse et équivoque où l’on se tâte réciproquement, où le parti républicain bourgeois s’interroge, se demandant s’il rejoindra dans la Révolution le prolétariat républicain où si,