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un peu sérieux. C’est alors que les bataillons fédérés descendus des Batignolles avec Varlin, de Montmartre avec Bergeret, de la Glacière et du Panthéon avec Duval, de Belleville avec Ranvier et Brunel, se portent en masse vers l’Hôtel de Ville, occupant au passage les postes, casernes, édifices nationaux et municipaux qu’ils rencontrent. À 5 heures, ils se saisissaient de l’Imprimerie nationale ; À 7 heures 1/2, ils cernaient la Maison commune, y pénétraient à 9 heures, à la minute où Ferry s’esquivait. Sur leurs pas, à la hâte, dans les quartiers populeux, à l’intersection de toutes les grandes voies, la foule édifiait des barricades. À 11 heures, la mairie du Louvre, où s’étaient réunis les maires, était envahie à son tour et Ferry, qui y était venu chercher un refuge provisoire, s’en échappait, sautant par une fenêtre.

La place était nette ; tout avait fui. Les derniers ministres bouclant leur valise ne laissaient dans la capitale que l’unique colonel Langlois nommé par eux, en remplacement de d’Aurelle, général en chef de la garde nationale, à charge pour lui de se faire reconnaître comme tel auprès de la garde même. À 2 heures de la nuit, Langlois venait à l’Hôtel de Ville tenter l’aventure près du Comité central. À 2 heures 1/2, il en décampait sous les huées des fédérés.

Ce ne fut en réalité que le matin du 19 — matinée radieuse inondée de soleil printanier — que Paris connut toute l’étendue de son triomphe, la débandade de ses maîtres et l’avènement de son règne.

Ce fut ce matin également qu’il apprit le drame dont Montmartre avait été le théâtre la veille, vers la fin de l’après-midi, l’exécution de deux généraux, de Lecomte, fait prisonnier, comme on sait, par ses propres soldats ; de Clément Thomas, ancien général en chef de la garde nationale, ancien massacreur de juin, arrêté dans la journée, comme il vaguait aux alentours d’une barricade de la rue des Martyrs. Lecomte et Clément Thomas avaient été enfermés avec plusieurs officiers de moindre grade, au siège du Comité de la rue des Rosiers. Les fédérés préposés à leur garde voulaient un jugement régulier. Des heures ils luttèrent contre la passion grandissante de la foule accourue, qui réclamait justice sommaire, contre la rage surtout des propres soldats de Lecomte, les débandés du 88e. Ceux-ci n’ignoraient pas que si, les choses changeant et les rôles renversés, ils eussent été les prisonniers de leur chef, au lieu de le tenir en leur pouvoir, depuis plusieurs heures déjà ils auraient reçu leurs douze balles dans la peau. Il le leur avait crié le matin comme ils refusaient de tirer : « Votre affaire est claire. »

À la fin, la poussée de la foule emporta tout, dispersa les gardes nationaux qui, de leur corps couvraient désespérément la poitrine des prisonniers. La colère anonyme des masses, se débrida furieuse et vengeresse. Thomas, d’abord, Lecomte ensuite furent précipités dans l’étroit jardin attenant à la petite maison. Des coups de feu retentirent. Tirés par qui ? On ne le sait pas exactement encore, même après les deux procès depuis instruits solennellement