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Par ces hommes, par leur pusillanimité et leur insincérité, la défaite et la capitulation s’annonçaient à ses yeux inévitables et la République compromise, perdue probablement, si l’on ne réagissait pas, si l’on ne mettait pas la main au collet de la trahison, si l’on ne débusquait pas du pouvoir les félons et les incapables.

Avec le peuple maître de son Hôtel de Ville, avec la Commune révolutionnaire conduisant, guidant Paris, tout changeait. La garde nationale était un inépuisable réservoir de combattants, dont on pouvait tirer en un mois ou deux une force militaire de premier ordre, solide, bien liée, magnifique de courage et d’entrain. Cette force — 300.000 hommes, 400 ou 450.000 avec l’armée régulière cantonnée sous les remparts et qui aurait suivi par habitude de discipline — cette force, dis-je, se serait portée délibérément, spontanément contre les Prussiens. Elle les aurait harcelés sans relâche, fatigués par d’incessants engagements et aurait percé sans doute le cordon de leurs troupes d’investissement si mince par endroits. Qu’on se représente l’effet de cette offensive heureuse exécutée par des bataillons hissant leur drapeau rouge sur le champ arraché à l’envahisseur ; qu’on juge du retentissement de la victoire sur la province, qui guettait anxieuse tous les mouvements de la grande emmurée, attendant qu’elle lui tendit la main par-dessus les aigles germaniques brisées et piétinées. C’était la France entraînée, répondant par sa levée en masse à l’audacieux sursaut de la capitale, reconduisant l’agresseur, l’épée aux reins, jusqu’aux frontières. C’était l’héroïque épopée du siècle passé recommençant, sous l’étendard de la Révolution prolétaire, pour l’établissement de la République sociale.

Chimère ! dira-t-on. Qui sait ? Le champ du réel ne se confond pas avec le champ du possible, ce qui fût avec ce qui aurait pu être. Chimère, en tout cas, qui hantait les hommes de la Corderie, qui nourrissait leur espoir, enflammait leur courage, qui explique leurs actes, les prises d’armes tentées par eux après chaque désastre, chaque preuve convaincante nouvelle de l’incurie et de la trahison de la Défense, et explique aussi la dernière de ces prises d’armes, celle qui n’aboutit malheureusement qu’après la débâcle finale, quand il était trop tard : l’Insurrection du 18 Mars, la Commune.

Il ne saurait entrer dans notre cadre de relater par le détail ces divers mouvements : 8 octobre, 31 octobre, 22 janvier. Ces mouvements ont eu leur narrateur et leur critique dans Jaurès, puisque l’ordre chronologique les situait dans le siège. Leur mention ne se justifie ici que dans la mesure où ils éclairent la situation générale faite à Paris, à la veille du 18 Mars et posent dans leur vérité les classes et partis qui allaient se trouver aux prises pendant la Commune.

Le premier de ces mouvements, celui du début d’octobre, fut voulu et organisé par la Corderie. Il eut abouti d’autant plus aisément que les gens de l’Hôtel de Ville n’étaient pas encore sur leurs gardes, ne supposaient pas que