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moins,[1] la note exacte, l’impulsion salutaire. Le « Prussien d’abord » disait le Réveil, disait la Patrie en Danger, et de là à conclure que le premier devoir était de se serrer autour du gouvernement de la Défense nationale, il n’y avait qu’un pas.

La Corderie disait au contraire, criait par ses vingt comités d’arrondissement, par ses cent clubs affiliés : L’Hôtel de Ville d’abord ! Sus d’abord au plus proche ennemi, allié et complice de l’autre, puisque c’est la même classe qui, dans l’enceinte, sous le masque des avocats larmoyants et des généraux phraseurs, paralyse la défense et qui, hors l’enceinte, sous l’aigle à deux têtes de Guillaume et de Bismarck, resserre chaque jour davantage le cercle d’investissement, noue plus fortement le cordon qui va étrangler Paris et la République.

Ainsi faite, la Corderie ne pouvait être qu’une conspiration permanente contre l’Hôtel de Ville. Elle le fut.

Tout d’abord les éléments y étaient encore mêlés ; mais ils s’étaient épurés vite. Les moins sérieux, les moins ardents, gagnés par l’amour du galon avaient filé vers les bataillons, pris des grades ; d’autres, les timides, les pondérés, étaient entrés dans les commissions de subsistances, d’équipement, d’armement annexées aux mairies, avec la noble pensée de se rendre utiles, de concourir efficacement à une « défense » qui pourtant n’apparaissait que comme une duperie odieuse à qui voulait bien réfléchir. Très vite, en conséquence, il n’était plus demeuré que les éléments socialistes révolutionnaires, une élite purgée de toute scorie, de tout déchet patriotique, au sens bourgeois du mot, et enfiévrée chaque jour davantage de plus de passion et d’audace.

La Corderie avait percé à jour, dès l’abord, le mensonge de la « Défense nationale ». Elle n’avait peut-être pas entendu les propos de table du généralissime Trochu, confiant dans l’intimité que le siège n’était qu’une héroïque folie, héroïque, si l’on voulait, folie, à n’en pas douter ; mais elle les avait devinés. Partant, elle n’avait pas assez de mépris et de colère contre ces tartuffes : un Jules Favre s’écriant : « Ni un pouce de notre territoire ! ni une pierre de nos forteresses ! » alors qu’il négociait en sous-main avec le prétendu ennemi et, dans ce but, expédiait M. Thiers se promener dans toutes les cours d’Europe ; un général Ducrot, foudre de guerre, s’exclamant, en sortant de Paris : « Je n’y rentrerai que mort ou vainqueur » et qui y rentrait vivant et vaincu, sans avoir même essayé de tenter jusqu’au bout la fortune, en conduisant au feu des troupes qui ne demandaient qu’à se battre. Faire acte de foi en Trochu, en Thiers, en Favre, en Ducrot et en leurs compères, dans les collègues de Bazaine, dans les anciens caudataires d’Emile Ollivier lui était impossible.

  1. Cette critique de la Patrie en Danger et de Blanqui, qui en fut le rédacteur prestigieux et magnifique, ne vaut que pour la période comprise entre le 7 septembre et les tout premiers jours d’octobre. À dater de ce moment, Blanqui a vu clair dans le jeu de la « Défense » et pense qu’on ne peut atteindre l’ennemi de l’extérieur qu’en marchant d’abord contre son complice de l’intérieur.