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gouvernement par les délégués de la Corderie. Les deux dernières touchant à la défense de Paris et des départements se caractérisaient surtout en ce point qu’elles spécifiaient l’élection immédiate, par la garde mobile, de tous les chefs qui devaient la conduire au feu, au lieu et place des chefs jusqu’alors imposés d’en haut, ainsi que l’armement universalisé de tous les citoyens. Mais les plus typiques, sans contredit, les plus importantes de ces mesures étaient celles portées au titre : Subsistances et logements.

Voici comment, à ce sujet, s’exprimait, le Comité central :

« Exproprier, pour cause d’utilité publique, toute denrée alimentaire et de première nécessité actuellement emmagasinée dans Paris, chez les marchands en gros et en détail, en garantissant à ceux-ci le paiement de ces denrées, après la guerre, au moyen d’une reconnaissance des marchandises expropriées et cotées au prix de revient ;

« Elire dans chaque rue, ou au moins dans chaque quartier, une Commission chargée d’inventorier les objets de consommation et d’en déclarer les détenteurs actuels personnellement responsables envers l’Administration municipale ;

« Répartir les approvisionnements classés par nature entre tous les habitants de Paris, au moyen de bons, qui leur seront périodiquement délivrés dans chaque arrondissement, au prorata : 1o du nombre de personnes composant la famille de chaque citoyen ; 2o de la quantité de produits consommables constatée par les Commissions ci-dessus désignées : 3o de la durée maximum probable du siège.

Les municipalités devront encore assurer à tout citoyen et à sa famille le logement qui lui est indispensable. »

Il est évident que si ces mesures, qui n’étaient du reste qu’un commencement, avaient reçu application, non seulement elles eussent entraîné une prolongation considérable du siège, mais encore apporté des modifications si profondes, si radicales dans les rapports des classes, qu’il aurait été bien difficile, la crise passée, d’en faire disparaître complètement les traces. Ces mesures, qui constituaient vraiment la dominante de la déclaration, supposaient que toutes les classes ainsi appelées concurremment à collaborer au sacrifice et à participer à la bataille, on verrait bien vite s’effacer, dans la privation commune et le péril partagé, les séculaires oppositions de luxe et de pauvreté, de raffinement et de grossièreté, d’instruction et d’ignorance, toutes les distinctions sociales, et qu’ainsi un régime socialiste, une république égalitaire se forgerait sur l’enclume de la guerre, au feu du canon de l’ennemi.

Tout l’esprit de la Commune vivait déjà dans ces mesures, dans cette déclaration, baptisée du nom éloquent d’Affiche rouge, et dont le rude appel, s’il avait été entendu, pouvait être le point de départ d’une régénération complète de la société française.