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HISTOIRE SOCIALISTE

teurs et les ci-devant, comme ceux qu’à Valmy et à Jemmapes elle assénait, par ses sans-culottes sur la tête de l’envahisseur, visaient au même but, convergeaient à la même fin, à la ruine du vieux monde, qu’elle s’était donné mission d’abattre, pour que la Révolution s’accomplît. C’est cette double offensive qui lui a valu la maîtrise, qui lui a permis de balayer, sous son souffle orageux, comme un fétu de paille, royauté, noblesse, clergé, et de fonder une France nouvelle.

De même, la deuxième Commune n’avait raison d’être, possibilité de s’imposer, de durer et de vaincre, qu’en se dressant à la fois, Commune révolutionnaire, contre l’ennemi de l’extérieur, le Prussien envahisseur, et contre l’ennemi de l’intérieur, le bourgeois capitulard, et en courant sus du même élan à tous deux. Son salut et son triomphe étaient au prix de cette double action, de cette attaque simultanée, en ne distinguant pas entre le capitalisme coiffé du casque à pointe qui déferlait d’Allemagne et le capitalisme indigène, son complice, impatient de soumission et de capitulation, sachant bien que toute victoire parisienne eût été une victoire prolétaire, une victoire de la Révolution.

Tout au cours du siège, la classe ouvrière avait plus ou moins consciemment reconnu la nécessité de ce corps à corps avec l’intégralité des forces capitalistes, tant nationales qu’étrangères, et tout mis en œuvre, par ses éléments les plus perspicaces et les plus ardents, pour le provoquer.

De là les divers mouvements insurrectionnels conduits par les bataillons des quartiers les plus populeux, de Belleville, de Montmartre, dans le but de chasser de l’Hôtel de Ville les occupants bourgeois et d’y installer la dictature de la classe ouvrière, maîtresse de la République et du pouvoir.

L’occasion s’offrait extraordinairement tentante et favorable. Pour défendre Paris investi dès la mi-septembre et bientôt bombardé, il avait bien fallu, en effet, armer la population, appeler dans les rangs de la garde nationale tous les adultes valides. Au premier moment, on avait essayé d’une sélection, de s’en tenir à 80 ou 90,000 hommes plus ou moins triés sur le volet ; mais en présence de la volonté formelle, des démonstrations incessantes des faubourgs, des réclamations des maires talonnés par leurs administrés, force était d’aller jusqu’au bout, de fournir un équipement, des armes, des munitions à chaque citoyen. Ainsi, à côté de quelques milliers de hauts bourgeois, isolés, noyés dans ce vaste ensemble, coude à coude avec quelque cent mille hommes tirés de la boutique et du bureau s’étaient trouvés enrégimentés et armés deux cents ou deux cent cinquante mille prolétaires. Depuis 1793 on n’avait pas revu pareil spectacle : tous les habitants d’une ville, et de quelle ville ? de Paris capitale, en possession de ces deux instruments de libération : le bulletin de vote et le fusil.

Certes, l’on comprend les réserves gouvernementales et bourgeoises du début, les appréhensions et les alarmes qui suivirent et allèrent croissant jus-