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« Jouer à faux, de son chef, la partie de la liberté, peut-être d’une nation tout entière est une faute, souvent irréparable, dont rien ne saurait absoudre ». Blanqui déclare que c’était trop tôt ou trop tard. Trop tôt : puisque le peuple n’était pas encore assez averti et excité par l’étendue du désastre. Trop tard, puisque déjà, le 14 aout, Bazaine avait commencé à se laisser bloquer dans Metz. Cependant si la République avait été proclamée ce jour là, Mac-Mahon n’aurait pas marché vers Sedan : et « ses cent cinquante mille hommes, appuyés sur Paris, se changeaient en armée invincible ». Que le peuple de Paris ait ainsi attendu, c’est bien le signe que le souffle de la Révolution était trop languissant et débile. Non seulement le peuple ne proclama pas à temps la République, mais il ne seconda pas par des mouvements de la rue les timides efforts des députés de la gauche pour dessaisir la régence et décider le Corps législatif à prendre en main le gouvernement au nom de la France menacée. Quand vint le 4 Septembre, toutes les forces organisées de la France étaient dans le gouffre ; et la République, pour appeler, encadrer, éduquer des forces nouvelles, ne pouvait se couvrir du moindre débris des armées anciennes. L’armée de Mac-Mahon était prisonnière : celle de Bazaine était bloquée, deux fois bloquée, par l’ennemi et par la trahison. Cependant, si le gouvernement de la Défense nationale avait été animé d’un vigoureux esprit et s’il avait pu compter sur l’esprit républicain de la France, le désastre pouvait encore être réparé. M. de Bismarck redoutait deux choses. Il craignait qu’une Assemblée nationale convoquée aussitôt surexcitât l’énergie du pays. Le gouvernement de la Défense nationale hésita. Il songea d’abord à convoquer une Assemblée : puis il ajourna, puis il y renonça, par la raison et sous le prétexte qu’une partie du sol était occupée par les Prussiens :

C’est sans doute un grand malheur que les hommes de la Révolution du 4 Septembre n’aient pu faire appel à la France, avec la certitude qu’elle ferait une réponse à la fois républicaine et nationale. Si une grande assemblée élue dans la tempête avait proclamé que la République était désormais le gouvernement légal et définitif, si elle avait signifié au monde qu’elle était prête à faire la paix, qu’elle prendrait l’engagement de ne pas inquiéter l’Allemagne et de reconnaître son unité, si elle avait affirmé, comme Jules Favre le fit en son nom propre et sans autorité à l’entrevue de Ferrière, qu’elle accepterait pour l’avenir une convention d’arbitrage avec l’Allemagne, mais si elle avait ajouté en même temps qu’elle ne consentirait à aucune mutilation de la patrie, l’effet aurait été très grand sans doute et en France et en Europe : et grand l’embarras de la Prusse militariste. Mais le fond de la nation était encore si imprégné de servitude que sans doute la France n’eût constitué qu’une assemblée incertaine, républicaine de nom, mais sans vigueur et sans foi.

Paris, du moins, va-t-il déployer un grand effort. C’était la deuxième crainte de M. de Bismarck. Un moment, après Sedan, il songea qu’il vaudrait