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Les élections de 1869, mettant debout trois millions d’opposants, avaient réveillé les cœurs, Gambetta annonçait la victoire prochaine par la seule action du suffrage universel. Dans cette opposition mêlée, le parti républicain dominait, au moins dans les grandes villes. Mais le plébiscite rabattit cette confiance. Ayant à se prononcer directement sur l’Empire, le pays lui donna une majorité immense. Ah ! quelle lourde pierre de servitude pesait encore sur la patrie ! Certes, le courage des républicains ne fut pas brisé. Leur propagande continua, audacieuse et active, et une avant-garde ouvrière et socialiste se forma, qui renouvellerait bientôt l’esprit républicain, un peu amorti par les longues habiletés de l’opposition parlementaire. Mais qu’était encore tout cela à côté de l’énorme masse qui venait de rallier une fois de plus sa propre déchéance et l’universelle servitude ? et comment, sous l’étourdissement de ce coup, la force populaire et républicaine aurait-elle pu d’emblée, dès la déclaration de guerre, ou même dès les premières défaites et avant l’irréparable, saisir les événements ? Le nombre des hommes résolus à accomplir une révolution républicaine pour mieux défendre la patrie était infime. La petite poignée de héros qui, le 16 août, avec Blanqui, Eudes, Granger, essaya un coup de main sur le poste de La Villette, dans l’espoir d’ébranler Paris, fut comme englouti dans la réprobation ou l’étonnement de tous. C’est Blanqui lui-même qui le constate avec une poignante tristesse :

«… Les insurgés… se mirent en marche vers Belleville par le boulevard extérieur. Il fut alors évident pour eux que leur projet n’avait aucune chance de réussite. La population paraissait frappée de stupeur. Attirée tout à la fois par la curiosité et retenue par la crainte, elle se tenait, immobile et muette, adossée des deux côtés aux maisons. Le boulevard parcouru par les insurgés restait complètement désert. En vain ils faisaient appel aux spectateurs par les cris : « Vive la République ! Mort aux Prussiens ! Aux armes ! ». Pas un mot, pas un geste ne répondaient à ces excitations. Les chefs de l’entreprise avaient supposé que la gravité de la situation et les tumultes des jours précédents seraient des motifs suffisants pour rallier les masses. Mais un certain découragement avait succédé aux émotions impuissantes des premiers jours. Les idées prenaient un autre courant. Elles tournaient au soupçon, à la crainte exagérée de l’espionnage prussien. »

Mais, s’il y avait eu une forte préparation républicaine et révolutionnaire, le peuple aurait-il commis cette méprise ? N’aurait-il pas, dès le lendemain de Reichshoffen et de Forbach, profité de l’ébranlement des premiers désastres pour renverser l’Empire et sauver la patrie ? Un mois après, Blanqui écrivait :

« Paris comprend que ces hommes ont voulu faire, le 16 août, ce qui s’est accompli le 4 septembre. Ils se sont trompés, sans doute, l’heure n’était pas venue ; il faut savoir la deviner, et, dans des questions si redoutables, la méprise, l’erreur de calcul devient une lourde responsabilité. « J’ai cru » n’a jamais été une justification. »