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la politique qui avait été menée en 1854, lors des négociations primitives au sujet des duchés, au sujet du Sleswig-Holstein, et qui avaient amené la conclusion du traité d’alliance de la Prusse et de l’Italie sous l’égide de l’Empereur ?

Quelqu’un peut-il nier que vous ayez ratifié de semblables combinaisons ? Non ; vous avez été surpris, égarés ; vous avez eu une confiance, qui n’a pas été justifiée, dans les prévisions et les combinaisons de votre gouvernement ; là, il faut le dire avec sincérité, là a été l’outil de votre lamentable erreur. Je sais pertinemment que ceux d’entre vous qui émettront un vote de guerre le jour où le vote de guerre vous sera demandé, ne sont pas des hommes politiques prêts à se contenter de la question Hohenzollern, ou du plus ou moins de susceptibilités qu’on aura apporté dans les étiquettes royales… C’est donc, Messieurs, un changement de politique qu’on vous propose. Je ne l’apprécie pas… » mais « vous avez une justification à faire de cette nécessité au point de vue de votre politique et de votre diplomatie… Vous appelez la France à vous donner des hommes et de l’argent ; vous la lancez dans une guerre qui, peut-être, verra la fin du dix-neuvième siècle consacrée à vider la question de la prépondérance entre la race française et la race germanique, et vous ne voulez pas que le point de départ de cette immense entreprise soit authentique, formel, et que la France puisse savoir, en même temps que l’Europe, de quel côté était l’acte injuste et de quel côté la résistance loyale ? »

Il ajoutait enfin, comme pour dégoûter la France de cette guerre sans franchise, issue d’un motif mesquin, que si la République avait à mener le combat national, ce serait d’une autre allure. « Si j’avais eu le choix, pour le gouvernement de mes préférences, je vous prie de croire que ce n’est pas dans ces misérables ressources que j’aurais puisé les raisons décisives d’une telle conduite. » Inquiétantes affirmations ! Dangereuses hypothèses ! Quand on médite toute l’attitude de Gambetta en ces questions et ses paroles mêmes au jour de la crise suprême, on se demande avec épouvante s’il n’aurait pas conçu avant tout le gouvernement républicain comme un gouvernement d’offensive nationale contre l’Allemagne et si l’Empire, en déclarant la guerre, n’a pas épargné à la République le crime et la folie de la déclarer. Il eût été déplorable à jamais que la France républicaine fît sommation à l’Allemagne de ne pas se constituer pour mieux assurer « la prépondérance de la race française ». Vaincue en ce conflit, la France républicaine sombrait ; et la République était frappée du même coup qui a frappé l’Empire.

Victorieuse, la France républicaine se grisait de nouveau de l’orgueil de domination qui avait déjà corrompu, aux temps héroïques, l’âme révolutionnaire. Il est vrai que Gambetta, après la guerre, tout en maintenant l’affirmation du droit contre les brutalités de la conquête et de l’annexion, a su pratiquer une politique de paix, qu’un moment même il a songé à aller à Varzin négocier avec M. de Bismarck un modus vivendi entre la France et l’Allemagne. Mais il était alors, comme le pays, sous la dure leçon de la