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causer avec M. Benedetti. Dire que l’honneur de la Prusse avait été blessé le 6 juillet et qu’une rétractation était nécessaire, c’était prétendre que le roi de Prusse avait été indifférent à la blessure de l’honneur national. Le monde entier dirait que M. de Bismarck ne déchaînait la guerre que parce qu’il avait manqué le coup de la candidature. Et s’il avait fallu retirer celle-ci par peur de la conscience générale, comment pourrait-on la braver par la plus impudente provocation ? En ce moment, M. de Bismarck n’était plus l’homme d’État de l’unité allemande, il n’en était que l’aventurier.

Mais les événements du 15 vont lui restituer l’avantage et lui permettre de jouer sa partie avec une audace lucide. Deux documents lui parvinrent dans la journée sur l’entretien de M. Benedetti et du roi. C’était le rapport de l’aide de camp Radziwill, qui avait porté le dernier mot du roi de Prusse à l’ambassadeur. C’était un télégramme du conseiller secret Abeken, attaché comme secrétaire à la personne du Roi. Aucun de ces documents n’apportait à M. de Bismarck ce qu’il souhaitait passionnément, c’est-à-dire la certitude de la guerre. L’exigence nouvelle de M. Benedetti avait été repoussée. Mais il n’avait pas formulé d’ultimatum ; et si le Roi avait refusé de reprendre l’entretien sur une question tranchée, il n’y avait eu là ni discourtoisie, ni rien qui ressemblât à un congé, « sur ce, Sa Majesté a fait répondre pour la troisième fois, au comte Benedetti, par mon intermédiaire après le dîner, vers six heures, qu’Elle croyait devoir refuser absolument d’entrer dans de nouvelles discussions sur ce dernier point (l’engagement obligatoire pour l’avenir) : que ce qu’Elle avait dit dans la matinée était son dernier mot dans cette affaire, et qu’Elle ne pouvait que s’y reporter. Le comte Benedetti, ayant appris qu’on ne pouvait pas compter avec certitude sur l’arrivée à Ems du comte de Bismarck pour le lendemain, a déclaré alors vouloir se contenter, pour sa part, de cette déclaration de Sa Majesté le Roi. »

Hélas ! c’était encore la paix, même dans la dépêche envoyée de la part du Roi par Abeken. Dans celle-ci, plus courte, plus âpre, la guerre n’était pas non plus explicitement donnée ; mais elle y tressaillait en germe :

Ems, 15 juillet 1870, 3 heures 50 après-midi. « Sa Majesté le Roi m’écrit : « Le comte Benedetti vint me trouver aujourd’hui sur la Promenade, il me demanda d’une façon fort pressante que je m’engage pour l’avenir à ne jamais autoriser une nouvelle candidature des Hohenzollern. Je lui prouvai, de la façon la plus péremptoire, qu’on ne peut prendre ainsi des engagements à tout jamais. Naturellement, j’ajoutai que je n’avais encore rien reçu et que, puisqu’il était ainsi averti plus tôt par Paris et par Madrid, c’était bien la preuve que son gouvernement était hors de question. »

« Sa Majesté, depuis, a reçu une lettre du prince. Comme Sa Majesté avait dit au comte Benedetti qu’elle attendait des nouvelles du prince. Elle a résolu, sur la proposition du comte Eulenbourg et la mienne, de ne plus recevoir le comte Benedetti, à cause de sa prétention, et de lui faire dire simplement, par