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nationale, une diminution pour la France. Quelques mois avant les cruels événements, d’Ems, où il était allé soigner sa gorge très malade, il disait à son père : « Il me tarde de rentrer à Paris pour dire, du haut de la tribune, son fait au roi de Prusse » (à propos de l’affaire du Saint-Gothard).

De plus, il avait une si vaillante confiance en l’avènement prochain de la République, qu’il lui semblait déjà qu’elle avait la responsabilité de la France. Souffrir que le prestige de la France fût diminué, même sous l’Empire, même aux dépens de l’Empire, c’était tolérer un amoindrissement de la France républicaine. Même s’il n’y avait pas eu, à ses yeux, une sorte d’impiété à attendre d’une crise nationale le triomphe du régime préféré, c’était inutile, Gambetta croyait que, normalement, par la seule volonté du suffrage universel, l’Empire s’effondrerait à bref délai. Il se souvenait des défaites répétées de la République, mais seulement pour tirer de ces épreuves du passé des leçons de conduite et de tactique : le poids des déceptions et des désastres ne pesait pas sur lui comme sur la plupart de ses compagnons de lutte qui avaient fait la traversée orageuse de 1848 et qui avaient sombré. Les naufrages anciens étaient pour lui un avertissement ; ils n’étaient pas une meurtrissure, et son esprit était comme soulevé par un invincible ressort de jeunesse républicaine.

Ce n’est pas seulement par une assurance simulée et par un jeu de combat qu’il avait, dans son discours sur le plébiscite, déduit la République du suffrage universel ; c’est en toute certitude qu’il avait dit à M. Émile Ollivier : « Vous êtes le pont entre la République d’hier et la République de demain. Ce pont, nous le passerons. » Et il n’entendait pas subir à l’autre bout la loi d’une sentinelle prussienne. Il avait d’ailleurs des illusions chauvines sur la force de la France. Quelques jours après la déclaration de guerre, voyageant avec son ami Lavertujon (son ami d’alors), il n’admettait pas une minute la possibilité d’une défaite de l’armée française ; et même, ô dérision de la destinée, ô surprises de « la justice immanente », il préparait pour un éditeur une brochure où il exposerait selon quelles règles de droit devaient être administrées les populations de la rive gauche du Rhin qui allaient être infailliblement enlevées à l’Allemagne.

La victoire de la France impériale ne lui faisait pas peur pour la République. Ce serait la victoire de la France, ce ne serait pas la victoire de l’Empire ! un passager réveil de prestige ne sauverait pas celui-ci, condamné par la contradiction interne de son principe. Il aurait simplement reconstitué, avant de périr, la France de Danton, et le Danton nouveau, parlant au monde au nom de la République nouvelle, aurait dans sa parole la force accrue d’une France agrandie, sage mais fière, libre de toute servitude au dedans, de toute crainte au dehors.

De là à prendre, comme le lui suggérait la Liberté, la responsabilité d’une aventure, il y a un abîme ; mais aussi comment le jeune tribun, dans l’état d’esprit où il était, aurait-il pu, dès le 15, sommer le gouvernement de se