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Hohenzollern, pouvait lui faire penser que nous avions le dessein de provoquer un conflit… « Je n’ignore pas les préparatifs qui se font à Paris, et je ne dois pas vous cacher que je prends moi-même mes précautions pour ne pas être surpris ». Sa Majesté a essayé plus tard d’atténuer la gravité de ces paroles en cherchant à me prouver qu’elle avait encore une entière confiance dans le maintien de la paix. « Elle ne sera pas troublée, a dit le roi, si l’on veut attendre à Paris que je sois en mesure d’y contribuer utilement et en me laissant le temps qui m’est nécessaire. »

Après tout, c’était la paix : car plus le Roi prenait de précautions pour que le désistement du prince de Hohenzollern parût venir de l’initiative de celui-ci, plus il est évident qu’il comptait sur ce désistement, qui ne pouvait être refusé à son intervention secrète. C’est bien cette espérance qui anime Benedetti le 11, malgré le malaise de l’attente, lorsqu’il annonce au duc de Gramont que l’ambassadeur de Prusse à Paris, M. de Werther, va quitter Ems et revenir à son poste : « J’ai cru comprendre, d’après ce qu’il m’a dit, qu’il n’a d’autre mission que de chercher à vous démontrer la sincérité des sentiments du Roi, et du désir de Sa Majesté d’arriver à une solution pacifique, sans toutefois faire personnellement une concession qu’il juge incompatible avec sa dignité, ou, en d’autres termes, en laissant peser uniquement sur le prince de Hohenzollern la responsabilité de sa renonciation. »

M. Benedetti précisait, d’ailleurs, son espérance dans sa lettre particulière du 11 juillet, 5 heures : « Vous voulez une réponse nette et immédiate ; le Roi persiste, malgré tous mes efforts, à me déclarer qu’il ne peut ni ne veut prendre sur lui de donner au prince de Hohenzollern l’ordre de retirer la parole qu’il a envoyée au gouvernement espagnol. Sa Majesté me laisse deviner, et elle me fait donner à entendre par son entourage, ainsi que vous le répétera M. de Werther, que le prince doit renoncer spontanément à la couronne qui lui a été offerte, et que le Roi n’hésitera pas à approuver sa résolution. Il me dit, de plus, que la communication du prince ne peut tarder à lui parvenir, qu’il devrait la recevoir demain ; mais il se refuse absolument à me donner l’autorisation de vous faire savoir, dès à présent, ce qui équivaudrait à une garantie ou à un engagement, que le prince retirera sa candidature. »

Même en ces termes, ce retrait de la candidature serait un grave échec pour M. de Bismarck et un grand succès pour la France ; mais M. de Gramont accepterait-il qu’en ces termes la question fût résolue ? Il ne pouvait, si grande que fût son impatience, refuser au roi de Prusse le court délai demandé. Le 11, au soir, à 6 h. 50, et ignorant encore cette demande, il avait lancé une sorte d’ultimatum : « Au point où nous en sommes, je ne dois pas vous laisser ignorer que votre langage ne répond plus comme fermeté à la position prise par le gouvernement de l’Empereur.

«… Nous demandons que le Roi défende au prince de Hohenzollern de persister dans sa candidature, et si nous n’avons pas une réponse décisive