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permettre au roi de Prusse de se dégager, sans trop de dommage pour sa fierté, du détestable piège où sa main, en le tendant, était restée prise ? ou pour le mettre évidemment dans son tort, aux yeux du monde, s’il refusait enfin la satisfaction demandée ?

C’est dans cette atmosphère fiévreuse que s’ouvre la journée du 11 juillet. C’était un lundi. Quarante-huit heures s’étaient écoulées sans que le Corps législatif se fût réuni : les esprits surchauffés supposaient que, dans l’intervalle, une subite décision était intervenue, et on s’attendait, pour la séance de l’après-midi, à une communication sensationnelle. À deux heures et demie, le duc de Gramont était à la tribune.

« Le gouvernement comprend l’impatience de la Chambre et du pays ; il partage ses préoccupations, mais il lui est impossible de porter à sa connaissance un résultat définitif. Il attend la réponse dont dépendent ses résolutions. Tous les cabinets auxquels nous nous sommes adressés paraissent admettre la légitimité de nos griefs. J’espère être très prochainement en mesure d’éclairer la Chambre, mais, aujourd’hui, je fais appel à son patriotisme et au sens politique de chacun de ses membres pour les prier de se contenter, pour le moment, de ces informations incomplètes. »

Mais quel péril y aurait-il eu à éclairer tout ensemble et à apaiser l’opinion ? Pourquoi ne pas dire que le gouvernement ne demandait qu’une chose : le retrait de la candidature Hohenzollern ? Et puisqu’il alléguait l’opinion des puissances étrangères, pourquoi ne pas ajouter avec précision qu’elles s’efforçaient toutes, et l’Espagne aussi, d’obtenir ce retrait, et que la France serait reconnaissante au monde de ces démarches pour la paix ? Par là le ministre aurait calmé l’opinion en lui proposant un objet, raisonnable et limité, et il aurait rendu plus faciles les négociations d’Ems, en désintéressant du conflit l’amour-propre du roi de Prusse. Mais c’est ce qu’il ne voulait point. Mais, ici encore, pourquoi M. Émile Ollivier n’est-il pas intervenu ? Précisément M. Arago lui fournissait l’occasion de s’expliquer. De sa voix énorme et qui dominait les tumultes indignés, il s’écriait :

« Je demande à M. le ministre des affaires étrangères si les questions adressées à la Prusse n’ont trait qu’à l’incident spécial, qu’à l’offre faite par le maréchal Prim à ce prince prussien, qu’à l’acceptation éventuelle de la couronne d’Espagne par le prince Léopold de Hohenzollern. S’il en est ainsi, je crois qu’on doit espérer une réponse satisfaisante, une assurance de paix ; mais si les questions sont complexes et de nature à soulever d’autres discussions que l’incident Hohenzollern, nous serions malheureusement obligés de les considérer comme offrant d’autres prétextes à une déclaration de guerre. »

Comme un homme qui s’avance la nuit dans une région pleine d’embûches, le parti républicain, dans l’obscurité où on lançait le pays, pressentait un péril prochain, mais sans en bien discerner la forme. Le danger n’était pas que le gouvernement soulevât une autre question que l’incident Hohenzollern, qu’il