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maréchal Canrobert, destitué de secours, n’ayant plus de munitions, dut céder enfin Saint-Privat après une des plus belles et courageuses résistances dont l’histoire des hommes fasse mention.

L’armée française était définitivement coupée de Verdun ou du moins il lui faudrait désormais, pour se dégager et n’être pas bloquée dans Metz, un effort infiniment plus difficile.

Pendant que Bazaine s’attardait et s’immobilisait ainsi autour de Metz, un autre drame se nouait à Châlons. Une armée attristée et dolente, mais puissante encore et dont une conduite habile aurait vite ranimé la fierté, s’y était reconstituée avec les débris de l’armée de Mac-Mahon et des renforts expédiés de Paris. C’était l’armée de Châlons. Qu’allait-on en faire ?

L’Alsace étant occupée par l’ennemi, l’armée de Bazaine étant à peu près enfermée à Metz, le gros des forces allemandes allait certainement hâter sa marche vers Paris.

Le plus sage était que l’armée de Châlons ne livrât pas dans les plaines de la Champagne une grande bataille. Elle n’était point encore assez réorganisée et raffermie. Mieux valait qu’elle se rapprochât de Paris non pour s’y enfermer ou s’abriter sous ses murs, mais pour manœuvrer, pour surveiller les approches de l’ennemi, pour empêcher par des pointes soudaines ou pour troubler et rompre l’investissement de la capitale.

Une ardente cité de deux millions d’hommes est presque impossible à forcer par soudaine violence ou par surprise. Elle est malaisée aussi à envelopper, surtout lorsqu’elle est traversée, comme Paris, par un fleuve qui coupe en deux demi-cercles le cercle d’investissement : et si l’ennemi est placé entre cette cité et une grande armée très manœuvrière, très habile, qui peut se déplacer sans cesse en pays ami et encadrer toutes les forces neuves et toutes les réserves que lui envoie la nation, bien des chances restent au peuple envahi de rétablir sa fortune. C’est là ce que le général Trochu vint dire à Châlons à Mac-Mahon et à l’Empereur.

Ce fut aussi la pensée première de Mac-Mahon, et c’est ce plan que l’Empereur, lui-même, accueillit un instant dans le Conseil de guerre tenu à Châlons. Mais l’intérêt de la dynastie chancelante, ou du moins ce qui semblait tel au bonapartisme affolé, l’emporta sur l’intérêt évident de la patrie.

Les premières défaites révélant l’insuffisance de la préparation, le mensonge des déclarations officielles, la criminelle imprudence de la politique impériale, avaient tout ensemble consterné et surexcité Paris. Le ministère Ollivier aurait dû se démettre, le général Palikao avait pris le ministère de la guerre, l’Impératrice régente sentait monter le sombre flot des douleurs et des colères. Elle pensa que si l’Empereur, renonçant à disputer nos frontières, rentrait à Paris, il y serait submergé par la révolution.

Qui sait pourtant ce qui fût advenu ? Peut-être la France, toute à la lutte contre l’étranger, aurait-elle ajourné le règlement définitif des comptes avec