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n’est pas une politique, c’est une haine. M. de Gramont mentait quand il prétendait avoir, du premier jour au dernier, formulé la même revendication. Il mentait quand il déclarait que, dès le premier jour, il avait demandé au roi de Prusse l’équivalent de ce qu’il lui demandera dans la dernière phase du conflit, c’est-à-dire l’engagement personnel d’interdire, à l’avenir, tout renouvellement de la candidature. Mais dans ce mensonge même, il était à demi sincère ; car, en interrogeant sa pensée, il y trouvait, du début à la fin de ce drame diplomatique, le même orgueil haineux, le même dessein d’infliger à la Prusse une blessure éclatante et envenimée. Et il sentait si bien qu’il ne serait satisfait qu’à ce prix, qu’il s’imaginait presque avoir donné d’emblée à son désir la forme la plus brutale. Cet état de conscience mauvais et trouble se traduisait par des exigences confuses et par des mots équivoques. D’une part il affirme que le roi de Prusse n’a pas pu ignorer le dessein du prince, que celui-ci n’a pu se passer du consentement du roi, et d’autre part, il dicte au roi de Prusse le désaveu que j’ai déjà dit : « Le gouvernement du roi n’approuve pas l’acceptation du prince de Hohenzollern et lui donne l’ordre de revenir sur cette détermination, prise sans sa permission ». C’est à dire que M. de Gramont demandait au roi de Prusse de s’abaisser par un mensonge flagrant et dont lui-même démontre d’abord l’évidence.

Et que signifie cette initiative qu’il déclare, dans son livre, avoir, dès les premiers jours, attendue du roi de Prusse ? Il n’y a pas de mot plus trouble. En aucun cas, le roi de Prusse ne pouvait avoir une initiative absolue, puisqu’il agirait à la demande de la France. Et si, par ses conseils, il décidait le prince à retirer sa candidature, il y avait bien là une initiative du roi, initiative certaine, même si elle n’était pas formellement reconnue. Au fond, ce que M. de Gramont entend par là, c’est que le roi de Prusse ne devait pas, pour ménager sa propre fierté et la susceptibilité de son peuple, mettre au premier plan le prince Léopold : il devait s’y porter lui-même pour subir en pleine lumière l’humiliation que le diplomate impérial lui réservait, et parce que ce délire couvait déjà sous son orgueil, M. de Gramont s’imagine que, dès le premier jour, il a déliré tout haut. Malgré tout, il ne peut pas produire un texte décisif. Il n’a pas dit clairement à Benedetti : « Même si le prince Léopold retire sa candidature, avec l’assentiment déclaré du roi de Prusse, cela ne suffira pas ; il faut que le roi de Prusse signifie au monde que c’est par son initiative, par un acte propre de sa volonté royale, que la candidature a été retirée. » Ce mandat, M. de Gramont n’a pas osé le donner en termes explicites à l’ambassadeur ; et lorsque, plus tard, il essaiera de prouver la continuité absolue de son action diplomatique, il ne réussira à démontrer qu’une chose : c’est que sa pensée allait sans doute, dès les premiers jours, au delà de ses premières démarches officielles et qu’il guettait d’emblée, en une attente orgueilleuse et sournoise, l’occasion d’humilier son adversaire et de triompher avec pompe. Mais cette ambiguïté même permettait à