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désir d’assurer la paix, mais à la sommation d’un adversaire arrogant. Obtenir le retrait de la candidature Hohenzollern serait donc un succès immense. Il y avait folie à espérer plus. Il y avait crime à demander plus, et à aggraver, par un surcroît d’exigences humiliantes, une résolution déjà très difficile. Aller au-delà de ce retrait, c’était vouloir la guerre. Il ne semble pas qu’avant d’envoyer M. Benedetti à Ems, M. de Gramont ait mis de l’ordre dans son propre esprit ; et ses instructions irritées et ambiguës portent en elles une contradiction où domine la colère. M. de Gramont prie le roi de Prusse qu’il conseille au prince Léopold de retirer sa candidature. Et on se demande s’il sollicite ce conseil du roi de Prusse pour obtenir ce retrait, ou pour infliger au roi de Prusse lui-même, par un conseil contraire à son assentiment antérieur, une épreuve et une humiliation. Sa pensée, toute frémissante d’orgueil, mais se contenant encore, hésite en des nuances troubles, qu’on risque d’accentuer ou d’atténuer rien qu’en les nommant.

Il télégraphie à M. Le Sourd, le 7 juillet. « On ne fera jamais croire à personne qu’un prince prussien puisse accepter la couronne d’Espagne sans y avoir été autorisé par le roi, chef de sa famille. Or, si le roi l’a autorisé, que devient cette soi-disant ignorance officielle du cabinet de Berlin, derrière laquelle M. de Thile s’est retranché avec vous ? Le roi peut, dans le cas présent, ou permettre ou défendre. S’il n’a pas permis, qu’il défende. Il aura peut-être sauvé le prince, son parent, d’un grand désastre, et il dégagera l’horizon politique des graves complications qui menacent la paix générale. Il y a quelques années, dans une circonstance analogue, l’Empereur n’a pas hésité : Sa Majesté désavoua hautement et publiquement le prince Murat posant sa candidature au trône de Naples. Nous regarderions une détermination semblable du roi Guillaume comme un excellent procédé à notre égard, et nous y verrions un puissant gage du désir de la Prusse de resserrer les liens qui nous unissent et d’en assurer la durée. »

Au comte Benedetti lui-même, M. de Gramont télégraphiait le 7, en l’envoyant à Ems. « Si le chef de la famille a été, jusqu’ici, indifférent à cette affaire, nous lui demandons de ne plus l’être, et nous le prions d’intervenir, sinon par ses ordres, au moins par ses conseils, auprès du prince Léopold. Donnés avec l’autorité qui lui appartient, ils ne manqueront pas d’exercer une influence décisive sur la résolution du prince et de faire disparaître, avec les projets fondés par le maréchal Prim sur cette candidature, les inquiétudes profondes qu’elle a partout suscitées… Quant à nous, Monsieur le comte, nous verrions surtout dans l’intervention du roi Guillaume, pour mettre obstacle à la réalisation de ce projet, les services qu’elle rendrait à la cause de la paix et le gage de l’affermissement de nos bons rapports avec la Prusse. Le gouvernement de l’Empereur apprécierait un procédé qui, l’on n’en saurait douter, recevrait, en même temps, l’approbation universelle.

« Inspirez-vous de ces considérations, faites-les valoir auprès du roi, et