possible déjouer ainsi avec le feu de la guerre et qu’il pourrait, à son gré, en exciter ou en apaiser les flammes quand elles jailliraient trop haut à son gré ? Il avait toléré, puisque la déclaration de M. de Gramont avait été lue à tous les ministres et discutée par eux, que cette sorte de défi retentissant fût jeté. Il était déjà bien tard pour reconnaître le péril. En tout cas, s’il voulait encore sauver la paix, il fallait qu’il se hâtât de prendre la conduite des négociations et qu’il surveillât M. de Gramont.
Mais M. de Gramont précipitait son allure. Comme M. de Bismarck, M. Benedetti était absent de Berlin. Il était à Wildbad. C’est le chargé d’affaires, M. Le Sourd, qui porta à M. de Thile les premières réclamations du gouvernement français. M. de Thile répondit que, pour le gouvernement prussien, l’affaire Hohenzollern n’avait aucun caractère politique, que le roi avait donné son consentement, mais comme chef de famille, qu’il n’était donc pas possible de soumettre à une discussion diplomatique une décision d’ordre privé. C’était une feinte vraiment grossière et inacceptable. Mais, convenait-il que la diplomatie impériale se rebutât d’emblée, et qu’au lieu d’insister auprès des ministres et auprès de M. de Bismarck, elle portât la question devant le roi lui-même ? Celui-ci était aux eaux d’Ems. M. Benedetti offrit à M. de Gramont d’aller l’y trouver. M. de Gramont lui en donna l’ordre par une dépêche lancée de Paris le 7 juillet, à 11 h. 45 du soir.
On s’est demandé si cette démarche n’était pas imprudente. Elle offrait évidemment de graves dangers, mais qui n’étaient pas sans compensations. Le souverain allait être brusquement mis en cause, et il suffirait d’une parole trop pressante, d’une protestation un peu trop vive pour alarmer sa fierté. C’est lui qui allait être au premier plan de la scène. Son peuple ne lui pardonnerait pas la moindre défaillance ; et il pouvait être tenté, pour éviter l’éclat d’une humiliation dont le monde entier aurait été témoin et dont toute une nation aurait ressenti la brûlure, de raidir son attitude et de se refuser aux accommodements que, par l’intermédiaire de ses ministres, il aurait acceptés. D’autre part, il était habile de mettre en jeu sa responsabilité morale, de faire de lui, en une minute d’universelle angoisse, l’arbitre de la paix et de la guerre. D’ailleurs, s’adresser à lui, c’était entrer dans le système même du gouvernement prussien. Soit : le roi avait agi en dehors de son conseil politique et comme chef de famille, mais le consentement donné par le chef de famille avait sur l’État de l’Europe le plus redoutable effet. Il pouvait donc, dans l’intérêt de la tranquillité européenne, retirer, comme chef de famille, le consentement qu’il avait donné en cette qualité. Ainsi, on ne heurtait pas de front le système du gouvernement prussien, mais on le détournait à des fins pacifiques. Mais pour que cette démarche si délicate offrit le moins de périls et le plus d’avantages possibles, il fallait que des instructions très conciliantes et très sages fussent données à notre ambassadeur.
M. de Gramont devait résoudre tout d’abord un problème essentiel :