Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce fut une tempête d’acclamations, toute la droite absolutiste donnait à plein souffle dans ce clairon ; toute la masse informe et lâche du centre, qui ne s’était ralliée à un semblant d’Empire libéral que par courtisanerie morne envers le maître et par peur de perdre l’investiture officielle, croyant acclamer la pensée de l’Empereur, débordait d’enthousiasme national ; seule, la gauche, offusquée par l’audace prussienne, mais attachée à l’idée de la paix, gardait un silence embarrassé et triste.

Au dehors, des vents de folie se déchaînaient. Est-ce à dire que la diplomatie impériale a été emportée par un mouvement irrésistible de l’opinion ? C’est ce que plaidèrent, dès le lendemain du désastre, les avocats de l’Empire effondré. Certes, M. Fernand Giraudeau a pu accumuler les citations qui prouvent que, contre la candidature Hohenzollern, tous les partis furent unanimes !

Le Temps, du 5 juillet, disait : « De toutes les conditions imaginables, ce serait la plus désagréable et la plus gênante pour le gouvernement français et la plus réellement inquiétante pour la situation européenne de la France. Si un prince prussien était placé sur le trône d’Espagne, ce n’est pas jusqu’à Henri IV seulement, c’est jusqu’à François Ier que nous nous trouverions ramenés en arrière. Qu’était-ce, en effet, que l’empire de Charles Quint, si ce n’est l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne enlaçant la France et l’isolant ? Et qui ne sent que l’avènement d’un prince prussien équivaudrait à cet état de choses, avec cette différence, plutôt désavantageuse, que le principal poids de la puissance rivale se trouverait au Nord, où notre frontière est la plus exposée, au lieu de se trouver au Midi ? »

Le républicain Ténot écrivait dans le Siècle de ce même jour, 6 juillet. « La France, enlacée sur toutes ses frontières par la Prusse ou par les nations soumises à son influence, se trouverait réduite à un isolement pareil à celui qui motiva, jadis, les longues luttes de notre ancienne monarchie contre la maison d’Autriche. La situation serait, à beaucoup d’égards, plus grave qu’au lendemain des traités de 1815. » Et François-Victor Hugo lançait, dans le Rappel, une note véhémente, presque belliqueuse. « Les Hohenzollern en sont venus à ce point d’audace qu’ils osent méditer ce monstrueux projet de domination universelle qu’ont vainement rêvé Charles-Quint, Louis XIV, Napoléon. Il ne leur suffit plus d’avoir conquis l’Allemagne, ils aspirent à dominer l’Europe. Ce sera, pour notre époque, une éternelle humiliation que ce projet ait été, nous ne disons pas entrepris, mais seulement conçu ! » Ah ! oui ! M. de Bismarck avait bien su ce qu’il faisait. Il avait, en psychologue avisé, bien calculé la puissance du ressort qu’il mettait en jeu ! La réaction de sentiment national en France était si vive que les esprits perdaient toute mesure, car il ne suffisait pas vraiment qu’un Hohenzollern régnât à Madrid pour qu’en plein dix-neuvième siècle, en un temps où les intérêts et les passions des peuples ne se soumettaient guère aux convenances dynastiques, l’Empire de