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vraie difficulté venait de la France, car elle ne voulait pas prononcer, au sujet de Rome, le mot qu’attendait l’Italie.

L’envoyé autrichien, M. de Vitzthum, télégraphiait à M. de Beust : « La seule difficulté, c’était Rome ; nous l’avons surmontée par la patience ». L’Italie espérant bien que l’entente aboutirait à approuver ou à tolérer ses desseins sur Rome, consentait en effet à un ajournement de la question romaine. C’est en ces termes, un peu flottants, un peu suspendus, que les premiers négociateurs, officieux et occultes, posent la question, en juin et juillet 1869, à la diplomatie officielle. Les ministres italiens insistèrent pour que l’Empereur Napoléon effaçât, par des promesses formelles, la déplorable impression de la seconde expédition romaine et de Mentana. Ils demandaient qu’il en revînt à l’application de la convention de septembre, et qu’il retirât les troupes françaises de Rome, ou même qu’il s’engageât à ne plus intervenir à Rome en aucun cas. Napoléon III, dominé par le parti catholique, suspendit les négociations. Mais elles furent reprises en septembre, et il y eut échange de lettres entre les souverains. C’était bien dans les termes prudents et un peu vagues, définis d’abord par l’Autriche, que cette sorte d’accord, ramené aux proportions d’une conversation amicale, se précisait : alliance purement défensive, protection mutuelle, engagement de ne pas ouvrir des négociations séparées. Les lettres de Napoléon III et de François-Joseph ont disparu. La lettre de Victor-Emmanuel à l’Empereur français a été conservée aux archives de la maison royale d’Italie. Il importe d’en reproduire le texte intégral :

« Monsieur mon Frère,

« Je remercie votre Majesté du témoignage de confiance qu’elle a bien voulu me donner en me faisant part des réflexions qui lui sont inspirées par l’état actuel de l’Europe. L’incertitude qui règne de toutes parts et fait douter de la stabilité de la paix, la crainte d’événements qui vont troubler l’équilibre européen sont de nature à exciter la préoccupation des souverains, et je trouve bien naturel que ceux qui ont une communauté d’intérêts cherchent à s’entendre pour agir de concert dans ces graves circonstances.

« Je ne puis donc qu’adhérer à l’idée d’une triple alliance entre la France, l’Autriche et l’Italie, dont l’union présentera une puissante barrière à d’injustes prétentions et contribuera ainsi à établir sur des bases plus solides la paix de l’Europe.

« L’Italie n’a point oublié ce qu’elle doit à la bienveillance constante de Votre Majesté, et si, aujourd’hui, nous pouvons tendre une main amie à la puissance contre laquelle nous avons pendant si longtemps combattu, nous en sommes principalement redevables au concours que les armes françaises nous ont prêté dans les guerres de l’indépendance et à l’appui que nous avons constamment trouvé auprès de Votre Majesté. Aussi je suis heureux que cette circonstance me fournisse le moyen de prouver ma gratitude envers Votre