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vrai, mobilisé ses troupes pour assister l’Autriche ; mais, en même temps, dès que s’ouvrirent les négociations, elle songea à se sauver aux dépens de l’Autriche. M. de Beust le savait ; et un article de la Neue Freie Press, au moins inspiré par lui, avait appris au monde ces combinaisons et intrigues de la Bavière :

« Ce gouvernement bavarois, dont la politique ambiguë, dont les retards prémédités et la mollesse à guerroyer n’avaient d’autre but que d’exploiter le conflit austro-prussien et le naufrage de la Confédération germanique pour y pêcher une Grande-Bavière, au jour même de la défaite ; cette politique, cette stratégie bavaroise, qui eut une si grande part dans les échecs de l’armée du Mein et qui fut si funeste à l’Autriche, ne pensait qu’au moyen de s’assurer un avantage à notre détriment. Elle demandait l’amoindrissement de la Prusse ; c’était à l’Autriche de la dédommager des pertes que, dans sa vilenie, elle s’était laissé infliger par la Prusse. On croyait donc à Munich notre prostration bien grande, puisque l’on aiguisait déjà les couteaux pour se tailler des courroies dans notre peau ? Pourquoi pas, après tout ? Ne caressait-on pas encore à Munich, en 1867, la pensée d’incorporer éventuellement l’Autriche allemande dans la Bavière ? »

M. de Bismarck exploitait ces premiers ressentiments de l’Autriche contre la Bavière.

Il disait à celle-ci : « Prenez garde, si vous ne restez pas loyalement avec moi, vous m’obligerez à m’entendre à tout prix avec l’Autriche, et c’est à vos dépens que je ferai ma paix avec elle ; je vous livrerai. » M. de Bismarck pouvait donc attendre. À la session du Parlement douanier d’avril 1868, il s’efforçait de faire écarter doucement, sans décourager d’ailleurs les nationaux libéraux, les motions qui tendaient à brusquer l’unité politique de l’Allemagne ; il voulait donner aux États du Sud l’impression qu’ils n’avaient à redouter de lui aucune violence, et il ne parlait des probabilités de guerre avec la France qu’en termes très prudents ; il dit à M. de Hohenlohe, le 28 avril, à propos des forteresses de Rastadt, Ulm et Mayence : « Il faut mettre l’Allemagne du Sud en État de défense. En ce qui touche la guerre avec la France, il est aussi impossible de dire là-dessus quelque chose de certain que sur le temps qu’il fera au mois de juillet ». Mais il ne croit pas à la guerre, parce que la France y regardera à deux fois avant de se mesurer avec l’Allemagne. Le plan de campagne français consiste à tomber sur les États du Sud avec 50.000 hommes et à les obliger à la neutralité. Ce serait alors un moment difficile pour l’Allemagne du Sud, car la Prusse aurait à Coblentz 200.000 hommes et bientôt 500.000, et elle marcherait sur Paris ; mais cela demanderait quelque temps. Si donc nous étions prêts et pouvions arrêter les Français, cela vaudrait mieux ». Il lui répétait le 21 mai : « Les Français ne pourront mettre en ligne que 320.000 hommes ; l’Allemagne du Nord a 500.000 hommes à sa disposition. » Mais il prétextait qu’il ne voulait pas provoquer la rupture ni se servir de ses