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la marche même des choses. Mais il est probable qu’il n’avait pas, dès le lendemain de Sadowa, un plan tout à fait précis et déterminé. Ce qui fait sa grandeur (nous l’avons dit), c’est qu’il avait une conception merveilleusement claire et ferme du but et une liberté absolue et multiple dans le choix des moyens. Et comment aurait-il pu dire d’avance avec certitude que c’est par la guerre avec la France, et par elle seule, qu’il irait à ses fins. Elle était sans doute à ses yeux une hypothèse infiniment probable, mais qui laissait hors d’elle de vastes possibilités.

Il avait été très irrité, très meurtri de l’intervention de la France après Sadowa. Mais ses ressentiments n’obscurcissaient pas son esprit et ne maîtrisaient pas sa volonté. Or, il savait très bien qu’un conflit avec la France, si celle-ci était alliée à l’Autriche, pouvait être redoutable. Sans doute, il avait confiance dans la supériorité militaire de la Prusse, et il était bien résolu à ne pas abandonner, par peur de la guerre, une parcelle du sol allemand, une parcelle de l’espérance allemande. Mais il avait un grand intérêt à ne pas brusquer les événements et à laisser ouvertes toutes les chances de l’avenir. D’abord, en donnant aux États du Sud, liés à la Prusse depuis la fin de 1866 par une convention militaire, le temps d’organiser leurs forces à la prussienne, il accroissait de beaucoup la puissance défensive et offensive de l’armée allemande. Et puis, il attendait que la force d’assimilation de la Confédération du Nord fût suffisante pour qu’on pût y incorporer sans danger les États du Sud dont le particularisme ou catholique ou démocratique répugnait à une organisation trop stricte d’unité sous la discipline d’une monarchie militaire et protestante. Aussi c’est une politique de délais, de ménagements, de sagesse qu’il pratique d’abord. Il garde l’équilibre entre le parti ultra-conservateur de la Gazette de la Croix, qui craint que dans la Confédération du Nord les plus précieuses traditions prussiennes ne se perdent, et qui veut de nouveau isoler la Prusse, et le parti national libéral qui, même au prix d’une guerre avec la France, veut unifier l’Allemagne sans retard. Il calme les impatiences, il temporise, mais en affirmant à tous qu’il ne perd pas de vue l’objet suprême : l’unité de la patrie. Il écoute avec une fausse complaisance les tristes demandes que fait la France au sujet de la Belgique ; c’est une manière de la compromettre et de gagner du temps. Quand survient l’affaire du Luxembourg, il a le désir d’éviter la guerre : mais il est résolu à ne rien consentir qui blesse cette fierté, cette susceptibilité de sentiment allemand qui est désormais sa grande force. Tout en essayant de savoir quelle serait, en cas de conflit, l’attitude de la Bavière, il télégraphiait à son représentant à Munich, le 5 avril 1867 : « D’après l’état des choses en Allemagne, nous devons, à mon avis, plutôt risquer la guerre, si peu digne que soit d’une guerre la question du Luxembourg, si le sentiment d’honneur est mis en jeu, et l’idée que la nation se fait de cette affaire est la chose déterminante. En tout cas, nous devons exploiter de toutes nos forces cet incident, pour consolider l’esprit