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« Est-ce que nos combats pour la liberté ne lui ont pas profité à elle autant qu’à nous ? Est-ce que 89 n’a pas été fait pour l’Allemagne comme pour la France ? Avant 89, comme l’a dit Voltaire, on trouvait, de quatre milles en quatre milles, un prince, une princesse, des dames d’honneur et des gueux. N’est-ce pas nous qui avons porté le premier coup à ce gothique édifice en détruisant, par la main de Napoléon, plus de deux cents de ces principicules ? Est-ce que 1830 et 1848 ne sont pas des dates allemandes aussi bien que françaises ? et qui donc a enlevé à l’Allemagne les deux cauchemars qui pesaient sur sa poitrine et qui lui donnaient de mauvais rêves, la Russie et l’Autriche ? N’est-ce pas encore nous ? N’est-ce pas nous qui, en Crimée, avons délivré l’Allemagne de la Russie ? Et, sans notre consentement, se serait-elle affranchie de l’Autriche à Sadowa ?

« Mais 1813 ! me dira-t-on.

« Voilà la cause de séparation entre eux et nous ! Voilà le souvenir irritant qui nous laissera toujours ennemis, puisque c’est à cette époque de nos malheurs que commence la patrie allemande ! Eh bien ! il faut effacer ce souvenir et détruire cet obstacle ! Qu’est-ce donc, après tout, que 1813 ? Que l’Allemagne ait le courage de l’entendre d’une bouche française : 1813 n’est rien autre chose que 89 retourné contre nous. Lorsque l’Allemagne a voulu se relever, nous vaincre et nous envahir, elle a compris qu’il ne lui suffisait pas de réunir des bandes plus nombreuses que celles qui, au Ve siècle, franchirent le Rhin : elle a inscrit sur ses enseignes, par la main des Stein, des Hardenberg, de Blücher lui-même, comme une invocation destinée à lui rendre le Dieu des armées favorable, elle a inscrit nos devises de liberté sur les enseignes qui précédaient ses bataillons, afin que notre grandeur, éclatant jusque dans notre défaite, le monde apprît que nous ne pouvions être vaincus que par nous-mêmes. (Vive approbation.)

« L’un des hommes qui, en Allemagne, représente avec le plus de noblesse et d’éclat la cause libérale, a écrit récemment, à propos des derniers événements, la phrase que voici : « Nos deux nations ont assez souvent montré qu’elles ne redoutent pas la guerre ; elles peuvent maintenant déclarer sans crainte pour leur honneur qu’elles sont affamées de paix. » J’accepte ces paroles de l’illustre M. de Sybel, et je prends au nom de mon pays la main qu’il lui offre, et je dis après lui : Nous aussi nous sommes affamés de paix ; mais nous voulons la paix dans l’honneur, la paix dans la dignité, la paix dans la force ! Si la paix était dans la faiblesse, dans l’humiliation, dans l’abaissement, je dirais sans hésiter : Mille fois plutôt, mille fois plutôt la guerre ! » (Marques nombreuses d’approbation, suivies d’applaudissements.)

C’était la seule politique clairvoyante et sensée, et M. Émile Ollivier avait bien raison de dire que celle de M. Thiers était contradictoire et imprudente : « Quelle que soit la prédilection de M. Thiers pour la paix, le résultat de son système sera ou une inconséquence humiliante, ou une guerre nécessaire et