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sous la tyrannie de son joug ; mais ce qu’il y a de certain, cependant, c’est que l’œuvre se perpétue et se consolide. »

M. Émile Ollivier. — C’est cela !

M. Jules Favre. — Qu’y toucher serait non seulement une imprudence, mais encore un acte d’ingérence contraire à notre droit, tant que cette œuvre n’est pas menaçante, ou pour notre nationalité ou pour notre honneur. (Assentiment à la gauche de l’orateur.)

« Eh bien ! Messieurs, de là je tire cette conséquence, qui peut-être va vous paraître exorbitante, et qui cependant est le dernier mot de mon opinion sur ce point : c’est que, au lieu de chercher à semer des divisions en Allemagne, nous devons partout y prêcher la pacification. (Nouvel assentiment sur les mêmes bancs.) La pacification, non pas seulement en ce qui touche la Confédération du Nord, mais la pacification en ce qui touche la Confédération du Sud, car nous n’avons aucun intérêt à ce que les rivalités se continuent entre les deux parties de l’Allemagne.

« Il faut bien, en effet, que l’Europe le sache : aujourd’hui, c’est là seulement ce qui est juste et raisonnable, car il n’est pas possible que deux rivaux se déchirent sans que les neutres en soient, jusqu’à un certain point, victimes. C’est là, permettez-moi de le dire, l’aurore d’un système nouveau qui doit laisser de côté les vieilles théories d’équilibre européen, de nécessité de possession de tel ou tel territoire par telle ou telle puissance. (Assentiment sur divers bancs.) Les sentiments ont aussi leur grandeur ; il ne doit plus y avoir désormais entre les nations de l’Europe qu’un lien qui les unisse étroitement ; ce lien, c’est celui de la paix, de la solidarité entre tous les intérêts !…

« Aussi, Messieurs, à mon sens, la politique de la France doit être celle-ci : pacification de tous les États de l’Allemagne. Elle n’a pas à protester contre ce qui se fait en Prusse, car elle a tout approuvé, tout ratifié. L’ambassadeur de Prusse n’existe plus : il est remplacé par l’ambassadeur de la Confédération du Nord, qui a été accepté. En conséquence, s’insurger contre ces faits accomplis, y rencontrer des souvenirs de vifs ressentiments, des prétextes de défiance et de haine, c’est là une erreur capitale qui a fait peser sur la nation le malaise qui lui a été si funeste et qu’il faut à tout prix dissiper. (Approbation à la gauche de l’orateur.)

« Mais, Messieurs, on ne le dissipera pas par des paroles. MM. les Ministres se succéderont à cette tribune ; il y aura toujours derrière eux cet interlocuteur caché qui est la conscience publique, et qui, en présence des armements que vous accumulez, dira : MM. les Ministres sont animés des intentions les meilleures, mais elles ne suffisent pas, et, tant que nous ne verrons pas les faits, nous ne pourrons pas y croire.

« De telle sorte, Messieurs, que s’il était impossible, ce que je ne crois pas, que la France donnât l’exemple et qu’elle eût la sagesse, dans son indépendance, dans sa force, et, je peux dire, dans son inviolabilité, de désarmer aux