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LA GUERRE FRANCO-ALLEMANDE

(1870-1871)
Par Jean JAURÈS


CHAPITRE PREMIER

RÉCIT SOMMAIRE


Dans le cadre étroit dont je dispose je ne puis essayer de donner le détail qui serait infini du grand drame de la guerre : j’aime mieux, après en avoir marqué en quelques traits sommaires les faits essentiels, discuter quelques-uns des problèmes qu’elle soulève et dégager autant qu’il est en moi quelques vues des leçons qu’elle contient.

Depuis quelques années les relations de la France et de la Prusse étaient incertaines et troubles. La Prusse, ayant vaincu l’Autriche à Sadowa, aspirait visiblement à grouper sous sa direction tous les États de l’Allemagne, et le gouvernement impérial, affaibli, anxieux, voyait avec inquiétude et jalousie cette croissance de la Prusse.

Au commencement de juillet 1870, l’Europe apprit que le général Prim, voulant mettre fin par un établissement monarchique aux agitations politiques de l’Espagne, offrait le trône espagnol à un prince prussien de la famille des Hohenzollern. Le gouvernement de l’Empereur s’effraya de cette candidature qui lui paraissait reconstituer au profit de la Prusse une sorte de monarchie de Charles-Quint. Il en demanda le retrait. Le prince de Hohenzollern, après quelques jours de négociations, consentit à retirer sa candidature. Le roi de Prusse autorisa notre ambassadeur Benedetti, qui avait été envoyé en hâte auprès de lui à Ems, à déclarer qu’il approuvait ce retrait : mais le duc de Gramont, ministre des affaires étrangères de l’empereur Napoléon III, insista pour que le roi de Prusse prit en outre l’engagement d’interdire à l’avenir cette candidature ; le roi de Prusse s’y refusa.

Déjà une grande partie de l’opinion allemande s’irritait des demandes de la diplomatie impériale. M. de Bismarck estima qu’il pouvait profiter de ce mouvement de l’opinion pour résoudre enfin, par une guerre nationale, le sourd conflit entre la France et la Prusse.