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de la paix mais récriminations contre l’œuvre d’unité. Il déplore toujours que la France n’ait pas pris parti dés le début pour le Danemark contre la Prusse. Il s’obstine à retourner le poignard dans la blessure de l’Empire en répétant que Sadowa a été un désastre pour la France ; et après avoir ainsi envenimé les plaies, empoisonné les cœurs et les esprits, il conclut à écarter tout ce qui pourrait créer de la délivrance entre l’Allemagne et la France. Peu à peu, cependant, il démêle ce que cette politique a de contradictoire et de dangereux. Il comprend qu’à force de reprocher à l’Empire sa tolérance à l’égard de M. de Bismarck dans le passé, il l’exhorte à prendre sa revanche d’une humiliation prétendue. Il entrevoit que l’Empereur négocie des accords avec l’Autriche pour pouvoir déclarer plus sûrement la guerre à la Prusse, et il se demande si, par ses récriminations implacables, il ne fera pas le jeu du parti de la guerre qui cherche à rétablir par une aventure le prestige du pouvoir personnel menacée la fois par les mécomptes au dehors et par les revendications de la démocratie au dedans. C’est ainsi qu’il arrive enfin, dans les affaires d’Allemagne, à un jugement plus large et plus sain qu’il formule avec quelques hésitations encore et quelques réserves embarrassées dans ses grands discours du 4 juillet et du 8 juillet 1858. Pour que la France puisse vouer tout son effort à l’œuvre de démocratie et de liberté, pour qu’elle ne succombe pas à un militarisme qui serait une menace et un accablement pour les libertés civiles, il importe que la paix soit assurée en Europe, et comment le serait-elle si la France avait le dessein de s’opposer à la volonté d’unité que manifeste si persévéramment la nation allemande ? Il va si loin dans cette assurance, dans ce système de paix qu’il veut que la France, même seule, même sans attendre la résolution conforme des autres peuples, dépose les armes. Mais, encore une fois, comment le pourrait-elle si elle jugeait avec aigreur, si elle ressentait avec colère les faits accomplis ? C’est pourquoi Jules Favre s’applique à montrer que les événements ont parfois des conséquences inattendues, et il retire ainsi, par cette sorte de rectification providentielle, ce qu’il avait dit sur les choses d’Allemagne : « Je crois que l’homme, dans son effort, est toujours dominé par une puissance mystérieuse et souveraine dont il lui est impossible de comprendre les desseins, et que souvent la prudence la plus consommée, le courage le plus viril, les résolutions les mieux combinées, conduisent la faible créature que nous sommes à des résultats qu’elle n’avait pas prévus, et que souvent aussi le bien naît de ce qui paraissait devoir consacrer à jamais le mal contre lequel elle protestait. Eh ! bien, ces réflexions que vous me pardonnez me paraissent s’appliquer très exactement aux événements qui se sont accomplis en 1866. Il est certain que l’influence de la Prusse a considérablement grandi et que la nôtre n’a pas subi la même progression.

« Mais est-ce qu’il n’y avait pas une sorte de fatalité dans ce résultat ? Je parlais tout à l’heure du Slesvig, et vous vous rappelez le mot célèbre de lord Palmerston : « On n’enflamme que ce qui est inflammable ».