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diplomatie européenne, il est joué, dupé, bafoué. Il a cru qu’il interviendrait comme Dieu pour fixer, entre l’Autriche et la Prusse la destinée incertaine, et la Prusse le raille avec une déférence affectée. Le César n’est plus qu’un Arlequin à la latte faussée que la Prusse salue d’hommages décevants.

Cet homme avait dit qu’il ferait la France plus haute : il l’a humiliée. La croissance prussienne est faite de la décadence française. O le niais, qui ayant suscité, puis ligotté l’Italie, l’a obligée à recourir aux bons offices de la Prusse ! Comme un soldat qui emporte dans son casque les fruits qu’il a lui-même cueillis à l’arbre et ceux qu’il a volés dans l’armoire du paysan, le Prussien emporte le fruit de sa propre victoire et le fruit des victoires italiennes cueillies par Napoléon. Le César n’est plus qu’un saltimbanque déchu, il est tombé de la corde et il a déchiré en tombant la gloire française dont il s’était revêtu. Ainsi, au cœur des républicains, bouillonnaient les colères, les haines, les mépris ; quel miracle si la grande idée de l’unité allemande n’en était pas d’abord éclaboussée ! et pourtant ils se contiennent ou se surveillent, et peu à peu ils dégagent la nation allemande, l’unité allemande de tout cet amalgame. Et c’est à une politique de paix, d’amitié démocratique et fraternelle qu’ils concluent. Ah ! ce ne fut pas sans lutte ! Quinet, à la nouvelle de Sadowa, a tressailli. Sa vieille prédiction lui revient en mémoire : celle de 1831, celle que j’ai citée, bien vieille en effet déjà, mais qui est devenue la vérité même ; et il écrit fiévreusement à ses amis : « Voyez, j’avais vu juste. C’est la Prusse maintenant qui mène l’Allemagne et elle va la mener contre nous. L’Empire a infligé à la France le plus effroyable désastre ; et voilà ce que deviennent les peuples qui s’abandonnent. La servitude n’est pas un lit de repos, c’est un lit de mort. France, relève-toi, ne meurs pas ! »

Mais à l’Allemagne, même prussiannisée, même redoutée, va-t-il lancer l’aveugle anathème ? va-t-il, en jetant la pierre à ce peuple casqué, s’exposer à meurtrir le front où ont vécu tant de pensées ? Non, mais dans son écrit de 1867, France et Allemagne, il essaie de dégager des événements, non pour un peuple, mais pour tous, la leçon morale. Il invite la France, l’Allemagne, l’Europe à dépasser la période équivoque et trouble où la force et le droit sont si étrangement mêlés qu’on hésite à flétrir la force parce qu’il y a en elle une parcelle de droit et à glorifier le droit parce qu’il est souillé de violence, c’est-à-dire d’injustice, par la Prusse, par l’audace et la brutalité de la Prusse, l’Allemagne est faite, l’unité allemande est faite. Ce que n’avait pu la seule force de la pensée et du droit, la glaive et l’astuce l’ont accompli, car Quinet ne ruse pas, ne chicane pas avec la réalité ; c’est bien l’unité allemande complète qui est dès maintenant un fait. Il n’y a pas de ligue du Main qui tienne ; au-delà des passagères combinaisons, toute la grandeur de l’Allemagne unie apparaît. Mais quoi ! cette victoire de la Prusse n’est-elle donc que la victoire de la force ? et est-ce bien la caste des hobereaux qui a vaincu ? Quinet entrevoit d’autres possibilités : « L’empire allemand est fait… Je croirais volontiers