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de l’Italie et du pape, une solution transactionnelle analogue par exemple à celle qu’indiquait Clarendon et qui laissait subsister le pouvoir temporel jusqu’à la mort de Pie IX ? Et M. Thiers lui-même ne se serait-il point résigné en maugréant à une solution de ce genre ? Il y a des hommes qui voient bien le mouvement général des choses mais qui s’embrouillent et se perdent si bien dans la complication des circonstances et la surprise des événements particuliers qu’ils agissent, sans le vouloir, à contre-sens de leurs idées les plus constantes : ce sont des esprits étendus et des sots. Il en est d’autres qui se méprennent sur le sens de l’évolution historique, mais qui sont si sensibles à la particularité des circonstances, si attentifs à la complexité des faits et si prompts à infléchir leur marche pour se garer d’un coup soudain, que leur action est beaucoup plus sage que leur pensée, et qu’ils ont dans l’histoire un bonheur auquel ils n’ont pas tout à fait droit. M. Thiers fut un de ces esprits courts, habiles et heureux.

Le gros des hommes n’a vu que ses prudences de surface et ses réussites de l’heure, et cela n’est pas négligeable dans le bilan d’une vie humaine. Mais toute sa politique de 1866 et de 1867 a eu, sourdement, profondément, des conséquences de désastre. M. Thiers a déplorablement aggravé les chances de guerre entre la France et l’Allemagne, et, pour la France, les conditions du combat.

Bien plus sage, bien plus sensée, bien plus française, au meilleur sens du mot, je veux dire plus conforme à la fois au génie et à l’intérêt de la France, était la politique des républicains démocrates, de l’opposition de gauche. Courageusement, après des incertitudes douloureuses et d’inévitables tâtonnements, ils firent accueil à l’unité allemande comme ils avaient fait accueil à l’unité italienne. Les événements d’Allemagne leur créaient bien plus d’embarras de conscience et d’esprit que ceux d’Italie. D’abord le Piémont n’était pas, comme la Prusse, une puissance militaire. Il n’avait pas eu de Frédéric II ; ce n’était pas un général italien, c’était Blücher qui, à Waterloo, avait accablé la France napoléonienne en qui respirait encore un souffle de Révolution. L’Italie unifiée n’apparaissait pas comme une menace possible pour la sécurité de la France, du moins au même degré que l’Allemagne unifiée par la Prusse. Ce n’était pas l’Italie toute seule qui s’était libérée ; elle y avait été aidée par la force militaire de la France ; au contraire, en 1866, si la diversion italienne, en affaiblissant l’Autriche, avait contribué au succès de la Prusse, ce sont les troupes prussiennes, toutes seules, qui, sur le champ de la décisive bataille, à Königsgratz, avaient lutté contre l’armée autrichienne et l’avaient vaincue. La force grandissante de la Prusse éveillait donc chez les républicains français des appréhensions et des ombrages que la force grandissante de l’Italie n’éveillait pas, ou seulement chez quelques-uns. De plus, en 1859, le droit de l’Italie était évident, éclatant.

En chassant l’Autrichien de la Lombardie, la monarchie de Savoie faisait