par les mots, du moins en fait, que sa politique était mauvaise. Oh ! il ne l’a jamais avoué, car il était infaillible. Mais enfin, président de la République après la guerre, il constatait bien que la France « la noble blessée », malgré ses désastres, malgré les mutilations subies, comptait encore dans le monde. Il dépendait d’elle, de sa sagesse, de sa prudente fierté, de tenir, même en face de l’Allemagne unie, de l’Italie unie, son rôle de grande nation. Qu’eut-ce été si elle n’avait pas aliéné d’elle l’Italie et l’Allemagne et si elle avait gardé, avec sa noble idée révolutionnaire de la liberté des peuples, l’intégrité de son territoire, toute sa force nationale et toute sa force morale ? De même, M. Thiers, président de la République était obligé de résister avec force aux forcenés du cléricalisme qui, au lendemain de la catastrophe nationale exigeaient que la France, encore chancelante, arrachât Rome à l’Italie. Voilà trente-cinq ans que les Italiens sont à Rome. La liberté du catholicisme, la liberté de la papauté a-t-elle été compromise ? Et c’est pour la sauvegarder que M. Thiers faisait violence au peuple italien ; c’est pour préserver d’un péril chimérique l’Église du Syllabus que lui, l’homme de la Révolution, le patriote français, il écartait de nous toute possibilité d’alliance italienne au moment même où il animait contre nous toutes les défiances et toutes les colères de l’Allemagne. Ah ! oui, la faute de M. Thiers fut lourde, et peut-être ne lui a-t-il manqué que le pouvoir pour porter devant l’histoire la responsabilité déclarée des désastres de la patrie.
Est-ce à dire que cette longue aberration contre-révolutionnaire lui enlève d’avance tout le bénéfice de la courageuse et clairvoyante opposition qu’il fera, en juillet 1870, à la déclaration de guerre ? Non, certes : les choses humaines sont d’une extrême complication. Les effets d’un système faux, d’une conception fausse, ne se développent pas toujours jusqu’à l’extrême conséquence. Des forces contraires les neutralisent et des occasions soudaines permettent d’échapper aux suites les plus funestes d’une grande faute initiale et d’une erreur essentielle. M. Thiers voyait faux l’ensemble du mouvement européen : et si sa pensée avait produit des effets d’une soudaineté explosive, il aurait conduit la France à un désastre immédiat.
Mais il était assez sensé pour chercher à gagner du temps : et comme il n’était pas au pouvoir ses imprudences étaient à long terme. Or, autant il se trompait sur la direction générale des événements, autant il avait le sens rapide des circonstances, des possibilités présentes, des dangers précis et particuliers. Cette prudence de détail et d’occasion, cette habileté de l’heure permettent parfois d’éluder la désastreuse logique des systèmes faux. Et à force d’ajourner, par instinct d’immédiate sagesse, les applications d’une théorie funeste, on arrive pratiquement à se déprendre de celle-ci. Qui sait si M. Thiers, arrivé au pouvoir avant le conflit de la France et de l’Allemagne, n’aurait point, par d’habiles délais et en éludant le jeu de M. de Bismarck, donné à la France et à lui-même le temps de reconnaître qu’elle pouvait sans péril accepter l’unité allemande ? Qui sait si la suite du temps n’aurait pas suggéré, pour les rapports