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Russie en fut reconnaissante à la Prusse ; et l’Empereur des Français, comprenant mal le jeu, ne garda rancune qu’à l’Autriche. Mais la Prusse s’était ainsi brusquement relevée au rang de grande puissance.

Au même temps, un autre État se révélait comme puissance européenne. La nécessité de se procurer des troupes nouvelles pour emporter Sébastopol et d’autre part l’idée de faire pression sur l’Autriche et de la pousser à la guerre en sollicitant l’appui d’un de ses adversaires, avaient amené l’Angleterre et la France à demander l’alliance et les troupes de la Sardaigne contre la Russie. M. de Cavour avait senti tout l’avantage qui pouvait sortir de cette alliance pour l’avenir de son pays. Il avait décidé son roi : le traité avait été signé en janvier 1855 avec les puissances maritimes. Avec le concours des finances anglaises, un corps d’armée Sarde avait été levé pour l’Orient.

Cependant la guerre traînait : l’abstention de l’Autriche privait les alliés de la diversion nécessaire sur le Danube ; le siège de Sébastopol présentait des difficultés de plus en plus redoutables. Napoléon III s’impatientait contre l’Autriche et songeait à la punir, ou bien projetait d’aller prendre le commandement en Crimée (février-mars 1855) M. Drouin de Lhuys, d’autre part, pressentant tout le danger qu’il y avait pour la France à se tourner contre l’Autriche, à la diminuer en face de la Prusse et de l’Italie, essayait à Vienne d’amener la paix le plus rapidement possible, et de faire triompher cette politique dans l’esprit même de l’Empereur. Un moment même, au début de mai, il semblait sur le point d’aboutir. L’Angleterre, la France, l’Autriche, en effet, avaient posé à la Russie, pendant toutes les négociations engagées depuis 1S54, quatre points : libre navigation du Danube ; abolition de ses droits sur les principautés danubiennes ; renonciation à la protection particulière des communautés grecques ; limitation de la puissance russe dans la mer Noire. Or, c’était ce dernier point que la Russie déclarait toujours ne pouvoir accepter. En avril 1855, M. Drouin de Lhuys et les diplomates autrichiens avaient substitué à cette demande de neutralisation, la limitation réciproque des forces russe et turque dans la mer Noire. Mais le 5 mai, l’Empereur refusait de ratifier ces propositions ; et M. Drouin de Lhuys démissionnait. Il décidait ainsi que l’Autriche devait sortir tout à fait abaissée de ces négociations.

Mais c’était la continuation de la guerre et de lourdes charges. L’Empereur devait demander aux Chambres 150.000 hommes de renfort et 700 millions. Et la gloire venait lentement pour compenser ces sacrifices ! D’aucuns commençaient même à trouver cette guerre plutôt sotte ; l’Empereur lui-même se lassait d’attendre les succès éclatants, qu’il avait escomptés et qui ne venaient point. La mort de Nicolas Ier, en mars, n’avait pas abattu le courage des Russes ; ils résistaient toujours avec la même énergie.

Le 8 septembre 1855, enfin, un assaut heureux livrait Sébastopol. Malgré les efforts de Cavour et de Palmerston, Napoléon III poussait à la paix : l’Autriche, de nouveau, se faisait l’intermédiaire entre lui et la Russie. Le 16 janvier